Captain Teacher de Raphaël Krafft est le récit
captivant de ses deux voyages en
Afghanistan au sein de la Légion
étrangère.
Journaliste indépendant, engagé dans la réserve opérationnelle de
l'armée française, il est chargé par le chef de corps du 2ème
REI (Régiment Étranger d’Infanterie), le colonel Durieux, de
mettre en place une radio dans la région de Surobi et de former le
personnel afghan.
![](http://www.buchetchastel.fr/local/cache-vignettes/L250xH367/9782283026953-61efd.jpg)
Le livre
de Raphaël Krafft débute avec son
départ de Paris et sa
plongée en Afghanistan et
dans la Légion, deux mondes qui lui sont complètement inconnus. Il
s'agit en effet du récit d'un journaliste qui n'est pas
« embedded »1
mais capitaine de l'armée française pour
cette mission. Il
découvre ainsi
une autre facette de celle-ci. Il travaille
avec et forme des
Afghans et un
adjudant de la Légion sous
le commandement du capitaine Negroni qu'il qualifie lui-même de
« mère poule ». Avec fluidité, simplicité et
honnêteté, il dessine ainsi des portraits tendres, drôles et
attachants de ces hommes. Il met en avant l'engagement et
l'ingéniosité de tous ceux qui prennent
part à cette aventure inédite pour ce
régiment de la Légion et pour la vallée de Surobi.
Avec très peu de moyens, le prix de vingt caisses de munitions, le
colonel Durieux veut faire de Radio Surobi un moyen de libérer la
parole des Afghans. Loin des théories développées par McChrystal
sur la conquête des cœurs et des esprits ou des opérations
d'influence, Radio Surobi est une radio communautaire, comme radio
Okapi en République Démocratique du Congo, qui est faite par les
personnes auxquelles elle s'adresse et qui prend en charge des
missions de service public dans une région qui a peu accès à la
presse ou à la télévision.
La radio rencontre rapidement le succès puisque Raphaël Krafft
écrit que la boîte aux lettres mise en place est rapidement
submergée par les courriers des auditeurs et les appels pour
l’émission de dédicaces musicales inondent la ligne. Cette
libération de la parole est également visible dans les shura
(assemblées) qui se multiplient dans la vallée. C'est tout d'abord
une shura des poètes qui se crée. Une quinzaine de ses membres
viennent déclamer à la radio leurs poèmes sur l'Afghanistan, ses
divisions et surtout sur leurs espoirs de paix et de réconciliation
sous les regards admiratifs et curieux du colonel et de quelques-uns
de ses hommes. Un club de cricket et son tournoi, suscitant
l'enthousiasme des habitants, est également mis en place. Une shura
de théâtre est également organisée par des lycéens et se lance
dans la création d'un roman radiophonique racontant l'amour
impossible de deux jeunes personnages vivant dans un village fictif
ressemblant à s'y méprendre à Surobi. C'est l'occasion pour ces
jeunes de s'exprimer et d'aborder des sujets difficiles. Raphaël
Krafft décrit cette radio communautaire, jamais offensive ou
partisane, comme un véritable outil démocratique où les femmes ne
sont pas oubliées, mais où les avancées se font pas à pas pour ne
brusquer ou provoquer le rejet de la population.
Il nous raconte aussi la réalisation du reportage « Les Frères
Tristes » qui donne la parole aux Afghans sur le conflit qui
les déchire. Ce documentaire sur les maghawar (« frères
tristes » en pachtoune) révèle la dimension sociale de
l'insurrection, bien loin des considérations idéologiques ou
géopolitiques. Cet extrait de la programmation de Radio Surodi est à
écouter et ré-écouter sur France Culture.
Cependant, malgré toute la beauté de l'expérience, celle-ci reste
sans suite. La radio perd en effet son indépendance et débute la
diffusion des messages de la Force. Reléguée dans un coin du camp
de Tora par l'armée afghane, elle perd également de ses moyens, de
ses émissions et par la même occasion de son auditoire.
Invité du Club France-Afghanistan2,
le 14 novembre dernier, Raphaël Krafft a
rappelé le
caractère original de radio Surobi. Il a ainsi surtout tenu à la
distinguer de radio Omid émise par l'armée française, depuis la
base de Nijrab dans le district voisin, et destinée
aux missions d'influence. Raphaël
Krafft a également regretté,
sans amertume, que radio Surobi ait été
utilisée à
partir de juin 2010 pour diffuser des messages de la Coalition
ce qui non
seulement dénature le projet initial mais aussi met en danger le
personnel afghan qui y travaille. Selon lui, Radio
Surobi a perdu son aspect communautaire et
sa mission de service public. Il rappelle que celle-ci
n'avait besoin que de très peu de moyen pour laisser un impact
positif de la présence française dans la région et permettre un
premier pas vers la libération de la parole et l'ouverture de la
vallée. Des mesures simples, comme le transfert des locaux de la
radio en ville ou encore l'installation d'un émetteur plus
performant, auraient
suffi pour laisser cet outil exceptionnel, témoignage positif de la
présence française après son départ. Raphaël Krafft a
conclu en affirmant
qu'il s'agissait là
d'une occasion manquée pour l'armée française alors que le projet
de départ possédait
un potentiel extraordinaire pour l'image de
la France et les populations locales.
1Terme
décrivant les journalistes qui suivent une unité combattante sur
le terrain.
2Association,
présidée par Françoise Hostalier, dont le but est de favoriser la
coopération entre la France et l'Afghanistan pour renforcer le
développement du pays.