11.12.13

Raphaël Krafft ou le « Captain Teacher » de Surobi


Captain Teacher de Raphaël Krafft est le récit captivant de ses deux voyages en Afghanistan au sein de la Légion étrangère. Journaliste indépendant, engagé dans la réserve opérationnelle de l'armée française, il est chargé par le chef de corps du 2ème REI (Régiment Étranger d’Infanterie), le colonel Durieux, de mettre en place une radio dans la région de Surobi et de former le personnel afghan.

Le livre de Raphaël Krafft débute avec son départ de Paris et sa plongée en Afghanistan et dans la Légion, deux mondes qui lui sont complètement inconnus. Il s'agit en effet du récit d'un journaliste qui n'est pas « embedded »1 mais capitaine de l'armée française pour cette mission. Il découvre ainsi une autre facette de celle-ci. Il travaille avec et forme des Afghans et un adjudant de la Légion sous le commandement du capitaine Negroni qu'il qualifie lui-même de « mère poule ». Avec fluidité, simplicité et honnêteté, il dessine ainsi des portraits tendres, drôles et attachants de ces hommes. Il met en avant l'engagement et l'ingéniosité de tous ceux qui prennent part à cette aventure inédite pour ce régiment de la Légion et pour la vallée de Surobi.
Avec très peu de moyens, le prix de vingt caisses de munitions, le colonel Durieux veut faire de Radio Surobi un moyen de libérer la parole des Afghans. Loin des théories développées par McChrystal sur la conquête des cœurs et des esprits ou des opérations d'influence, Radio Surobi est une radio communautaire, comme radio Okapi en République Démocratique du Congo, qui est faite par les personnes auxquelles elle s'adresse et qui prend en charge des missions de service public dans une région qui a peu accès à la presse ou à la télévision.
La radio rencontre rapidement le succès puisque Raphaël Krafft écrit que la boîte aux lettres mise en place est rapidement submergée par les courriers des auditeurs et les appels pour l’émission de dédicaces musicales inondent la ligne. Cette libération de la parole est également visible dans les shura (assemblées) qui se multiplient dans la vallée. C'est tout d'abord une shura des poètes qui se crée. Une quinzaine de ses membres viennent déclamer à la radio leurs poèmes sur l'Afghanistan, ses divisions et surtout sur leurs espoirs de paix et de réconciliation sous les regards admiratifs et curieux du colonel et de quelques-uns de ses hommes. Un club de cricket et son tournoi, suscitant l'enthousiasme des habitants, est également mis en place. Une shura de théâtre est également organisée par des lycéens et se lance dans la création d'un roman radiophonique racontant l'amour impossible de deux jeunes personnages vivant dans un village fictif ressemblant à s'y méprendre à Surobi. C'est l'occasion pour ces jeunes de s'exprimer et d'aborder des sujets difficiles. Raphaël Krafft décrit cette radio communautaire, jamais offensive ou partisane, comme un véritable outil démocratique où les femmes ne sont pas oubliées, mais où les avancées se font pas à pas pour ne brusquer ou provoquer le rejet de la population.
Il nous raconte aussi la réalisation du reportage « Les Frères Tristes » qui donne la parole aux Afghans sur le conflit qui les déchire. Ce documentaire sur les maghawar (« frères tristes » en pachtoune) révèle la dimension sociale de l'insurrection, bien loin des considérations idéologiques ou géopolitiques. Cet extrait de la programmation de Radio Surodi est à écouter et ré-écouter sur France Culture.
Cependant, malgré toute la beauté de l'expérience, celle-ci reste sans suite. La radio perd en effet son indépendance et débute la diffusion des messages de la Force. Reléguée dans un coin du camp de Tora par l'armée afghane, elle perd également de ses moyens, de ses émissions et par la même occasion de son auditoire.
Invité du Club France-Afghanistan2, le 14 novembre dernier, Raphaël Krafft a rappelé le caractère original de radio Surobi. Il a ainsi surtout tenu à la distinguer de radio Omid émise par l'armée française, depuis la base de Nijrab dans le district voisin, et destinée aux missions d'influence. Raphaël Krafft a également regretté, sans amertume, que radio Surobi ait été utilisée à partir de juin 2010 pour diffuser des messages de la Coalition ce qui non seulement dénature le projet initial mais aussi met en danger le personnel afghan qui y travaille. Selon lui, Radio Surobi a perdu son aspect communautaire et sa mission de service public. Il rappelle que celle-ci n'avait besoin que de très peu de moyen pour laisser un impact positif de la présence française dans la région et permettre un premier pas vers la libération de la parole et l'ouverture de la vallée. Des mesures simples, comme le transfert des locaux de la radio en ville ou encore l'installation d'un émetteur plus performant, auraient suffi pour laisser cet outil exceptionnel, témoignage positif de la présence française après son départ. Raphaël Krafft a conclu en affirmant qu'il s'agissait là d'une occasion manquée pour l'armée française alors que le projet de départ possédait un potentiel extraordinaire pour l'image de la France et les populations locales.
1Terme décrivant les journalistes qui suivent une unité combattante sur le terrain. 
2Association, présidée par Françoise Hostalier, dont le but est de favoriser la coopération entre la France et l'Afghanistan pour renforcer le développement du pays.

À écouter
France Culture, l'Atelier du Son, entretien avec Raphaël Krafft, 25 octobre 2013.
France Culture, Les Frères Tristes, documentaire réalisé par Raphaël Kraft, Aziz Rahman et Jean-Philippe Navarre :