8.3.12

Portraits de femmes engagées

Des femmes occupant des postes à responsabilité, comme ceux de journalistes ou d’agents de police, régulièrement brutalisées, victimes d’intimidations ou d’assassinats, des services de santé épouvantables et une pauvreté accablante, une quasi-absence de droits économiques et la guerre qui n’en finit pas… L’Afghanistan était nommé en 2011 le pays le plus dangereux du monde où naître femme, selon une étude mondiale réalisée par la fondation Thomson Reuters*. En ce 8 mars 2012, jour spécialement dédié aux femmes du monde entier, nous avons décidé de mettre à l’honneur les Afghanes, en vous proposant ici quelques portraits de féministes, qui, par leurs engagements politiques et leur militantisme, tentent de faire accepter les femmes comme des citoyennes à part entière qui ont leur place dans l’espace public, et montrent que les femmes ne sont pas seulement des victimes, elles sont aussi des actrices de leur propre destin et de celui du monde.

Cette année, trois Afghanes : Noorjahan Akbar, Fawzia Koofi et Hokmina, figurent dans la liste du Daily Beast des 150 femmes qui font bouger le monde ("150 fearless women").

Noorjahan Akbar a fondé, avec Anita Haidary, "Young Women for Change", une association créée en avril 2011 qui vise à redonner aux femmes afghanes force mentale et confiance en elles-mêmes par un soutien militant et en les amenant à une prise de conscience de leur propre situation et de leurs droits. Dans cet article, elle s’exprime sur la question du harcèlement dans les lieux publics auquel font quotidiennement face les femmes Afghanes et qui renvoie à celles-ci le miroir de leur rôle dans la société : elles n’ont pas leur place dans la vie publique. Noorjahan affirme que le harcèlement induit un cercle vicieux de la violence : il décourage les femmes qui osent sortir de chez elles à le faire sans un homme de confiance (père, frère, oncle). En conséquence, moins les femmes osent, plus leur présence en public est notable et condamnable, plus elles sont harcelées dans la rue, moins elles osent sortir, etc. Le documentaire, This is my city too réalisé par Anita Haidary, aborde ce thème, les raisons du problème, ses impacts négatifs à long terme et les moyens de lutter contre.

Seule fille de sa famille autorisée à aller à l’école étant petite, Fawzia Koofi s’est imposée comme l’une des meneuses du militantisme pour le droit des femmes dans son pays. Députée de la circonscription du Badakhshan depuis 7 ans, Fawzia est aussi vice-présidente de l'Assemblée Nationale et n’hésite pas à prendre la parole pour défendre ses convictions. Malgré les menaces qui pèsent sur sa vie, elle a décidé de se présenter à la prochaine élection présidentielle en 2014. Elle a déclaré au Daily Beast, "Tout le temps que je suis en vie, je n’abandonnerai pas mon désir fort de relever mon peuple de ce trou abyssal de corruption et de pauvreté dans lequel il se trouve."

Petite, pendant la guerre contre les Soviétiques, Hokmina avait déjà pour tâche de prendre soin de sa famille, et pour cela, son père, figure politique locale, la "déguisait" en garçon. Aujourd’hui encore, plutôt que la burqa, Hokmina lui préfère les pantalons et un turban noir enroulé autour de la tête, un AK-47 posé sur l’épaule. En tant que membre du conseil de la province de Khost dans le district de Tani, Hokmina s’est faite une place dans les rangs de la politique afghane ; elle est devenue spécialiste des droits civiques à l’échelle locale et travaille sans relâche pour les laissées pour compte de la région.

A 31 ans, Malalai Joya (ci-contre lors d'un discours en Australie) est féministe et militante politique, notamment engagée dans l'association mondiale V-DAY qui vise à éradiquer les violences faites aux femmes. Elle n’a pas sa langue dans sa poche et n’hésite pas à dire les choses telles qu’elles sont, même lorsqu’il faut s’attaquer au gouvernement ou à la présence étrangère. Pour cette raison, elle a été démise en 2007 de ses fonctions de députée au Parlement afghan, un poste qu’elle occupait depuis 2005. Dans cet article qui lui est dédié, elle attire l’attention sur le fait que, malgré l’intervention étrangère censée améliorer la situation des femmes, celle-ci reste très mauvaise en Afghanistan, où "les femmes meurent aujourd’hui aussi facilement que des oiseaux". Dans son livre Raising my voice, elle élève sa voix de femme et sa voix humaine.

Makai Aref a quitté l'Afghanistan avec sa famille en 1992, alors que les moudjahidin ciblaient les femmes activistes. Enseignante de formation, elle était alors Présidente du Centre des femmes afghanes. La famille s'est d'abord installée au Kazakhstan, où son lobbying persistant lui a valu une petite subvention qui lui a permis d'ouvrir un centre pour femmes réfugiées afghanes. Ayant toujours à cœur l'indépendance financière des femmes, elle a aussi fondé une coopérative de couturières. En 2000, la famille a immigré au Canada où Makai avait espoir d'offrir une meilleure éducation pour ses enfants. Elle a fondé en 2002 le Centre des femmes Afghanes de Montréal, ainsi qu'une coopérative de restauration. Makai travaille pour les besoins et le bien-être des femmes depuis plus de 25 ans.

Depuis 6 années, Habiba Sarabi fait figure de pionnière dans son pays. En tant que première et seule femme gouverneure, Habiba est un symbole de la lutte que mènent les femmes afghanes pour plus de droits et de reconnaissance, et représente un espoir de changement. Elle déclare "Etre la première femme gouverneur, c’est un défi pour ma sécurité. Vous savez, je suis une cible idéale pour les extrémistes. Ils seront ravis si ils parviennent à m’atteindre". Son cheval de bataille, c’est l’éducation des filles. Dans cette interview, elle fait état de l’évolution de la situation des femmes dans son pays et parle de son combat perpétuel pour faire changer les choses dans sa province.

Les jeunes sœurs Rahimi sont boxeuses et espèrent se qualifier en mai prochain pour les Jeux Olympiques de Londres. La pratique de la boxe féminine est un vrai symbole dans un pays où les droits des femmes sont chaque jour bafoués, où les violences subies et le port de la burqa quotidiens, l’accès à l’éducation et l’emploi très faible. Les sœurs Rahimi boxent au péril de leur vie, mais elles restent déterminées. L’une d’entre elles, Sadaf(ci-contre), affirme : "je vais essayer de montrer qu’une fille afghane peut entrer sur le ring et gagner une médaille pour l’Afghanistan". Et son entraîneur d’ajouter "[Sadaf] représente toutes les femmes afghanes, cela fait d’elle la plus grande personnalité féminine en Afghanistan".

Pour changer, finissons par un féministe. Mohammad Jawad Ali Zada a écrit un message à propos de et pour sa mère (ci-contre) à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes. Il parle d’une femme pauvre, illettrée, mariée à un jeune âge, dépourvue de sa famille dès l’adolescence, battue par sa belle-famille, qui pourtant, au cours de sa vie a travaillé dur, géré les ressources de la famille et tout mis en œuvre pour nourrir ses enfants et les éduquer du mieux qu’elle le pouvait. Il délivre un message d’admiration, de tendresse et d’amour qui, plus que l’histoire de sa mère, est celle de la majorité des femmes afghanes.

*La fondation Thomson Reuters est un organisme caritatif indépendant associé à l'agence de presse du même nom.