L'actualité de cette semaine a été marqué par deux principaux
événements : l'utilisation présumée d'une petite fille pour
un attentat suicide et la publication des mémoires de Robert Gates,
ancien ministre de la Défense américain, dans lesquelles il critique la politique de
Barack Obama en Afghanistan. Ces deux faits viennent rappeler les
difficultés pour les forces de la FIAS de "gagner les cœurs et les
esprits" malgré une insurrection particulièrement brutale envers les
civils. Les interprétations divergentes de concepts essentiels, comme
la justice ou le droit, entravent également la coopération entre
l'Afghanistan et les forces internationales. Enfin, la poursuite des
criminels de guerre, tout comme la reconnaissance des crimes de
guerre, représente également un défi pour le pays et la communauté internationale.
L'histoire de
Spozhmai illustre les difficultés du journalisme en Afghanistan -
Une nouvelle a
particulièrement marqué la presse cette semaine ; l'histoire
de Spozhmai, une petite fille de 10 ans, que son frère, un
commandant Taliban local de la province d'Helmand, aurait équipée
d'un gilet explosif pour commettre un attentat suicide contre les autorités. Cette dernière aurait refusé au dernier moment et aurait
trouvé refuge auprès de la police. Son récit a été filmé et
largement repris, Hamed
Karzaï s'est même exprimé sur le sujet.
Cependant, le Guardian
souligne que ce récit contient de nombreuses incohérences et qu'il
met particulièrement en lumière la problématique de collecter des
informations en Afghanistan, dans des secteurs reculés ou en proie à
l'insurrection, comme c'est le cas dans la province d'Helmand. Cette
difficulté à couvrir l'actualité afghane est encore accrue par la
situation difficile des journalistes dans le pays. Ainsi, cette
année, trois
reporters ont été assassinés et 70 autres
ont déclaré des agressions à la police. La presse doit toujours
faire face à de nombreuses
menaces, comme les organisations criminelles
pratiquant le trafic de drogue et le kidnapping, ou la
politisation du crime de « blasphème ». D'après
Siddiqullah
Tawhidi, les violences faites aux journalistes
montrent que le gouvernement « ne se confronte pas sérieusement
la question ».
Les conséquences
des violences faites sur les civils déterminantes quant à leur soutien aux combattants
-
Au-delà des
difficultés de vérification de l'information, l'histoire de
Spozhmai invite également à considérer les stratégies employées
par l'insurrection et leur impact sur les civils.
Même si les
Taliban nient avoir envoyé la petite fille
dans une mission suicide, ils n'ont pas hésité à utiliser des
enfants
pour des attaques
suicides antérieures. Ces techniques
particulièrement violentes sont responsables, d'après la mission des
Nations Unies en Afghanistan, des trois quart des morts et des blessés
civils, dont le nombre a considérablement augmenté cette année.
Cependant, malgré l'extrême brutalité des Taliban vis-à-vis des
civils, une étude
menée par Jason
Lyall, Blair Graeme et Imai Kosuke montre que ceux-ci éprouvent moins de rancune envers les Taliban qu'envers
les forces de la FIAS lorsqu'ils sont victimes de violences par l'une
ou l'autre des parties. Les trois chercheurs
ont interrogé 3 000 Afghans dans 204 villages, à majorité pachtoune,
et en ont conclu qu'une baisse de soutien pour l'insurrection ne
signifie pas non plus un transfert de celui-ci vers les troupes
de la coalition. Les conclusions de ces trois chercheurs semblent
donc contredire les principes de la contre-insurrection fondés sur
« la bataille des cœurs et des esprits », qui passe
notamment par la dénonciation des crimes des insurgés dans
l'optique de gagner des sympathisants. Des études
antérieures sur les conflits armés internes ont d'ailleurs
démontré que le niveau de violence à l'égard des civils dépend
principalement de la structure des organisations insurgées, alors que
le soutien de la population est une question secondaire dans le
processus de décision de ces organisations. La participation et
l'engagement des civils ont été analysés
comme le résultat de nombreux facteurs correspondant à la fois
à des griefs, à la cupidité des acteurs ou encore au contexte
social de l'insurrection, c'est-à-dire que la constitution d'une
société est un facteur déterminant dans le recrutement
Morwari
Zafar, anthropologue, attribue ce décalage
entre les conceptions de l'armée américaine et les réalités
afghanes a une mauvaise formation des forces américaines qui se
sont, selon elle, trop appuyées sur les informations fournies par la diaspora afghane présente aux
États-Unis, et particulièrement sur la jeune génération, qui
n'avait finalement que des connaissances limitées et biaisées de
leur pays d'origine où ils n'avaient jamais mis les pieds.
L'impact des
divergences de conception en matière de droit et de justice entre
l'Afghanistan et ses alliés -
Selon cette même
anthropologue, le manque de compréhension entre les décideurs
américains et la population afghane est également visible dans les
pratiques de justice, comme l'a montré le procès du sergent
Robert Bales. Morwari Zafar estime que, dans le district de Panjwai, province de Kandahar, où Bales est accusé d'avoir tué 16 civils Afghans,
la
conception de la justice est fondée sur une
série de traditions et non sur une procédure judiciaire fixée, à
l'opposé, donc, de la cours martiale à laquelle a été soumis Bales. Les
familles des victimes auraient ainsi eu la sensation d'être lésées
et privées de justice. Comprendre
la vision de la justice de ces communautés est
donc un élément essentiel pour les forces de l'OTAN.
De même, une certaine
incompréhension pourrait être à l'origine du hiatus entre Hamed
Karzaï et Washington quant à la signature de l'accord bilatéral de
sécurité. Si le refus par le président afghan de le parapher a
largement été interprété par Washington comme une manœuvre
politique, Corri
Zoli et Emily Schneider rappellent que
la question de l'inviolabilité du domicile, mis en avant par Karzaï
pour justifier son refus, n'est pas qu'un prétexte mais reflète une
conception de la protection du domaine privée profondément ancrée
dans la culture afghane. Selon les deux chercheuses, la protection du
domicile en Afghanistan, et plus largement dans les pays musulmans,
est comparé à tort avec la conception constitutionnelle
occidentale. Elles soulignent que la protection du domicile
relève pour les Afghans de l'ordre du sacré et d'une injonction
religieuse bien plus forte que ce que l'on retrouve dans la
déclaration des droits de l'homme, par exemple.
Les mémoires de
Robert Gates compliquent encore la signature de l'accord bilatéral
de sécurité -
@ Jason Reed/Pool/AP |
Mais cette question
n'est pas le seul facteur qui complique la signature de l'accord de
sécurité bilatérale. Cette semaine, des
extraits des mémoires de Robert Gates, l'ancien ministre de la
Défense américain qui a servi sous G. Bush puis B. Obama, ont été
publiés dans la presse américaine. Dans son livre, Robert Gates
critique la politique du président Obama en Afghanistan, en affirmant
notamment que ce dernier ne voulait pas cette guerre et cherchait à la
finir au plus vite, ne faisait pas confiance au haut
commandement militaire, avait l'impression que l'on se jouait de lui
et surtout qu'il ne pouvait pas supporter Hamed Karzaï. La
Maison Blanche a tenté de se défendre sans toutefois désavouer
l'ancien ministre de la Défense. Cette publication arrive
à un moment critique pour Washington, d'autant plus, selon le
New-Yorker, les États-Unis sont prisonnier du jeu de Karzaï,
qui bloquerait la signature pour son propre gain politique. Amy
Davidson revient dans ce même article sur les risques de fraudes lors
des prochaines élections afin de faire perdurer l'influence de
l'actuelle président et de son entourage.
Une justice pour
les crimes de guerre -
Séance de travail au Sénat | @ Pajhwok Photo Service |
Cette élection
présidentielle fait également l'objet de débats car plusieurs des
candidats sont accusés d'être des criminels de guerre. Mir
Ahmad Joyenda, ancien parlementaire, estime que le peuple afghan
réclame justice pour les violences commises et que la communauté
internationale, par sa stratégie, a contribué à
remettre le pouvoir « aux mauvaises personnes ». Pour le
moment, le
Sénat (Meshrano Jirga), est largement divisé sur la question.
Certains de ses membres estiment que la volonté de supprimer les
noms de certain candidats des listes est une conspiration.
Les Nouvelles
d'Afghanistan, publiées par l'association AFRANE, revient sur la
liste de 5 000 personnes exécutées entre 1978 et 1979, publiée par
l'Unité des Crimes Internationaux de la police néerlandaise, qui a
permis aux familles des victimes d'avoir des réponses sur le sort
de leurs proches. Faire la lumière sur les exactions commises pendant
ces dernières décennies de guerre est un processus long et complexe
mais qui semble nécessaire à la reconstruction de la nation.