17.3.14

Quel avenir politique pour l'Afghanistan?

Décès du vice-président Fahim -
Le premier vice-président, Mohammad Qasim Fahim, est décédé dimanche à Kaboul de causes naturelles. Ancien lieutenant du commandant Ahmed Shah Massoud, le Marshall Fahim a été enterré avec les honneurs militaires ce mercredi 12 mars. Ahmed Karzaï a alors rendu hommage à l'homme qu'il a décrit comme un "patriote et un fidèle serviteur de l'Afghanistan". Tolo TV News revient également, pour l'occasion, sur les douze ans de parcours de celui qui aura eu un rôle non négligeable, d'abord lors de la conférence de Bonn, ensuite comme ministre de la Défense jusqu'en 2004 et enfin comme vice-président depuis 2009.
Cependant, le vice-président était également une figure controversée sur la scène politique afghane. Si samedi, les Nations Unies l'ont présenté comme un « bon partenaire de confiance pour les Nations Unies », Fahim a été accusé par Human Rights Watch, en 2005, de violations des droits de l'homme et de trafic de drogue, et les pressions internationales avaient conduit à son départ du poste de ministre de la Défense. Il était aussi soupçonné de corruption, car ses différentes fonctions lui auraient permis un très important enrichissement personnel, manifesté par de luxueuses propriétés et les matchs privés de Bouzkachi, sa passion, qu'il organisait.
Sa disparition laisse craindre d'abord un vide politique. Fahim était un homme particulièrement influent sur la scène afghane. La communauté Tadjik, qui lui a largement rendu hommage dans le Panshir, a ainsi perdu son homme fort et son successeur reste inconnu. La Jamiat-e-Islami Afghanistan Party (JIP) se cherche donc désormais un nouveau leader, en vue de la nomination du prochain vice-président à laquelle Hamed Karzaï est légalement obligée. Ne soutenant officiellement aucune campagne, ce proche de Qayoum Karzaï a semblé plutôt apporter son soutien à la candidature de Abdullah Abdullah, son compagnon d'arme des années de résistance à l'occupation soviétique et aux Taliban.

Des élections incertaines -
Le décès du Marshall Fahim n'est pas la seule incertitude qui pèse aujourd'hui sur la politique afghane ; le bon déroulement des élections du 5 avril reste aléatoire. Tout d'abord, les problèmes rencontrés par certains citoyens pour s'enregistrer et obtenir une carte d'électeur, en raison du peu de bureaux ouverts et des longues files d'attente, pèsera sur le bon déroulement du scrutin et fait craindre de possibles fraudes.
De plus, la Commission Electorale Indépendante a émis, jeudi, des doutes sur la véracité des rapports financiers des campagnes présidentielles, publiés sur son site officiel, dont les stratégies oscillent entre méthodes modernes et traditionnelles. S'il n'y a pas de preuves de fraude pour le moment, des doutes sont permis quant au respect des lois électorales imposant une limitation du montant de la campagne à un million d'afghanis. Les institutions de la société civiles ont déjà pointé du doigt la faiblesse de cette législation, en raison, notamment, des maigres amendes infligés aux candidats en cas de son non-respect.
Toutefois, afin de s'assurer que les élections soient « crédibles et transparentes », le service diplomatique de l'Union Européenne a annoncé l'envoi d'une équipe de 15 observateurs internationaux dirigés par le néerlandais Thijs Berman.
La fraude n'est pas le seul obstacle à ces élections, les Taliban ont en effet appelé, pour la première fois lundi, leurs combattants à « perturber » le scrutin du 5 avril, déclarant sur leur site officiel : « Nous avons ordonné à tous nos moudjahidines d'utiliser toutes les forces à leur disposition pour perturber cette élection fantoche ». Les insurgés menacent ainsi tous les « militants », « travailleurs » et personnels chargés d'organiser ces élections.

Mort d'un journaliste à Kaboul -
Ces menaces se combinent avec l'assassinat, mardi, d'un journaliste suédois, Niels Horner, abattu au cœur du quartier des expatriés de Kaboul, non loin du lieu de l'attentat meurtrier contre la Taverne du Liban. Cet assassinat fait croître la peur d'une montée de l'insécurité pour les internationaux dans le pays et d'un regain de violence lors des élections. Le meurtre a été revendiqué par un groupuscule dissident du mouvement Taliban, le Fedai Mahaz Tahrik Islami Afghanistan ("Front du suicide"), sous prétexte que Niels Horner aurait été un espion du MI 6 (ce dernier possédant la double nationalité britannique et suédoise). Le leadership Taliban a, quant à lui, nié toute implication dans l'attaque.
Les membres du Fedai Mahaz Tahrik Islami Afghanistan sont des fidèles du mollah Dadullah, mort dans une frappe de drones à la frontière afghano-pakistanaise en 2007. Ils se sont farouchement opposés à toute négociation de paix avec le gouvernement et ce dernier attentat peut donc constituer une tentative d'empêcher un processus de paix et de radicaliser l'insurrection en marginalisant les « modérés » du mouvement, une tactique largement employée par des groupes dit « spoilers » dans les conflits armés internes. Cette attaque serait donc une illustration de la division qui existe au sein du mouvement taliban et de ses tensions internes notamment sur la définition de ses stratégies et objectifs.
Une autre hypothèse développée par David Young est également que ce groupe dissident, comme d'autres avant lui, fait partie des groupes « fantômes » que le mouvement Taliban créé lorsqu'il ne souhaite pas revendiquer une attaque particulièrement funeste et qui disparaissent une fois le fait accompli.
Aucune certitude n'est donc possible sur les caractéristiques du Fedai Mahaz, sur ses forces ou sur sa place réelle au sein du mouvement Taliban dans son ensemble. Ce qui est certain, c'est que l'insurrection reste mouvante et fractionnée, ce qui rend aujourd'hui sa lecture et sa compréhension particulièrement difficiles.

Départ des troupes canadiennes -
Cette semaine était également l'heure du bilan pour le Canada, alors que sa mission militaire s'achevait officiellement mercredi, l'occasion d'une cérémonie discrète de descente du drapeau au quartier général de l'OTAN à Kaboul. Deborah Lyons, l'ambassadeur canadien en Afghanistan, a salué la force et la bravoure des soldats dans ce conflit qui a coûté la vie à 158 soldats, un diplomate, un journaliste et deux civils canadiens.

Au delà de l'hommage aux troupes dans différents bâtiments publics au Canada, c'est un bilan mitigé qui est fait sur l'engagement de ce pays en Afghanistan. La décision de lancer une mission d'un an qui s'est transformée en cinq années de contre-insurrections dans la région de Kandahar est encore largement débattu. Le sort des prisonniers fait par les troupes canadiennes puis remis aux autorités afghanes et les accusations de tortures font toujours controverse en coulisse. Selon Murray Brewster, « le Canada a perdu son innoncence » avec ce conflit, qui, selon Graeme Smith, a poussé le pays à repenser sa politique étrangère et les conditions de son action extérieure.

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