7.3.14

Duel des mots, retrait, élections: quel Afghanistan en 2014?

L'interview de Karzaï - 
Hamed Karzaï dans son bureau
| credit Joel van Houdt
Dans une interview accordée, lundi 3 mars, au Washington Post, Hamed Karzaï, le président afghan, s’est dit en colère à l’encontre du gouvernement américain qui, selon lui, a mené la guerre en fonction de ses propres intérêts et non ceux de l’Afghanistan. Il a également exprimé son sentiment de trahison face au manque d’opérations contre les « sanctuaires » taliban au Pakistan, alors que les villages afghans sont excessivement touchés. De plus, selon lui, Al Qaeda n'est aujourd’hui qu'un « mythe ». Fonctionnant sur le registre de l'émotion, Karzaï a surtout déploré les pertes civiles causées par les opérations de la FIAS. Pour conclure cet entretien, le président a demandé aux deux journalistes de transmettre sa gratitude envers le peuple américain et sa colère au gouvernement américain.
Le climat de tension entre les deux alliés ne s’atténue pas. Washington exprime également sa frustration à l’égard du président afghan alors que le ministère de la Défense a annoncé que 2 300 militaires Américains sont décédés dans la guerre d’Afghanistan et les combats connexes liés à l'opération Liberté Immuable. 19 665 militaires américains y auraient été blessés.
Aggravant encore les tensions, un tir ami accidentel de l’OTAN sur un poste de l’armée afghane a fait cinq victimes et dix-sept blessés, jeudi dans la province du Logar.

Une option zéro de plus en plus considérée -
Les déclarations d’Hamed Karzaï interviennent dans un contexte de frustration de Washington à l’égard du président. Barack Obama a contacté la semaine précédente son homologue afin de discuter de la signature de l'accord bilatéral de sécurité. Il a ainsi affirmé que Washington pouvait attendre son successeur pour officialiser ce traité mais l'a également mis en garde sur la possibilité d’une « option zéro », c’est-à-dire le retrait complet des troupes américaines du territoire afghan. Obama a en effet demandé au Pentagone la rédaction d’un plan de préparation dans cette éventualité. Les responsables de l’OTAN ont également déclaré s'y préparer.
Le New-York Times rappelle toutefois que les multiples déclarations participent aussi d'un match rhétorique, alors que l'option zéro n'est pas le choix préféré des occidentaux et que, du coté afghan, tous les candidats à la présidentielle se sont déclarés en faveur de la signature de l'accord bilatéral de sécurité.
De plus, dans l'évantualité d'un départ occidental complet, la situation serait compliquée par la crise ukrainienne actuelle, comme le précise le Diplomate. En effet, la Russie pourrait décider d'une fermeture du Réseau de Distribution du Nord, qui passe sur son territoire, en réponse aux pressions américaines sur la Crimée. Cette route avait été mise en place pour contourner l'option, jusque là privilégiée mais devenue dangereuse et instable, du Pakistan et du port de Karachi pour l'évacuation du matériel.

Routes de transit pour le matériel de l'OTAN 
| Credit: Alyson Hurt/NPR
Contexte régional -
Les relations entre le Pakistan, l'Afghanistan et les États-Unis restent d'ailleurs complexes et les signaux sont contradictoires. Le blocage de la route de ravitaillement de l'OTAN a été levé par le gouvernement provincial du Khyber Pakhtunkhwa. Le mouvement, mené par le Tehreek-e-Insaf d'Imran Khan, la star du cricket reconverti à la politique, aura duré trois mois, pour protester contre les frappes de drone sur la région par les États-Unis. Un autre signe positif a été la signature, le 1 mars, par les deux ministres de l'Économie afghan et pakistanais, dans le cadre de la Commission Économique Jointe, d'un accord pour renforcer les échanges économiques et commerciaux et l'ouverture du chantier d'agrandissement de l'axe Torkham-Jalalabad. Le Pakistan propose même l'extension de l'accord au Tajikistan.
Cependant la situation reste tendue et Islamabad a notamment exprimé son inquiétude et émis des protestations après l'exécution, sur le sol afghan, de 23 membres des Frontier Corps (groupe paramilitaire pakistanais en charge de la surveillance des zones frontalières), détenus depuis 2010 par les Taliban.
Entre la Chine et l'Afghanistan, les relations semblent au beau fixe puisque, lors d'une visite officielle du ministre des Affaires Étrangères chinois, Wang Yi, à Kaboul, la semaine dernière, les deux parties ont réaffirmé l'importance de leurs relations et la volonté de les approfondir, pour d'évidentes questions de sécurité et de soutien aux efforts de paix menés par le gouvernement afghan. Il est visible que les relations entre les deux pays, ainsi que la vision qu'ils ont l'un de l'autre, a fortement évolué depuis 2001. La sécurité n'est plus la seule considération en place mais les deux pays se voient comme des partenaires potentiels avec un bénéfice mutuel possible.

Des nouvelles de la campagne présidentielle -
Qayoum Karzaï, le frère aîné de l'actuel président, a annoncé jeudi le retrait de sa candidature lors des prochaines élections présidentielles au profit du Dr Rassoul. Cette annonce intervient après la réunion d'une Jirga chargée de départager les deux candidatures. Il semble que Hamed Karzaï ait fait exception à la règle de non-ingérence qu'il s'était fixé dans ces élections. En effet, l'actuel président aurait fait pression depuis des mois sur son aîné pour que ce dernier retire sa candidature. Cette annonce marque le début de la première coalition depuis le lancement de cette campagne.

Bain de foule pour Abdullah Abdullah
dans la province de Jalalabad | Parwiz/Reuters
De son côté, Abdullah Abdullah, loin de renoncer, a démarré sa tournée électorale avec un déplacement dans la province de Jalalabad. Il a affirmé être confiant dans sa démarche en raison de l'echo positif qu'il reçoit à travers le pays, la situation étant, selon lui, bien différente par rapport à 2009. Le candidat malheureux des précedentes élections, affirme vouloir rassembler pour l'emporter dès le premier tour.
Pour évaluer cette campagne, le réseau social, Paywast, a décidé de lancer un sondage national par sms auquel 7 000 personnes ont répondu. Pour la plus grande part, les personnes ayant répondu viennent de Kaboul (41%) et sont des hommes (au moins 53%). Ce sondage fait le point sur l'enregistement sur les listes électorales, le sentiment de sécurité ou l'orientation des votes. 70 % des interrogés ont déclaré être prêts à voter pour un candidat d'une ethnicité différente. À ce sujet, l'historienne Helena Malikyar propose de revenir sur le contexte historique de la question ethnique pour distinguer mythe et réalité sur l'importance de la question dans ces élections.

Sport et construction nationale -
Le cricket semble évoluer au-delà des divisions politiques et ethniques. En Afghanistan, ce sport est en pleine expansion.
Équipe de cricket après une action réussie
| Reuters
L'équipe nationale a brillé lors de la Coupe d'Asie. Malgré des défaites contre le Pakistan et l'Inde, l'Afghanistan a joué avec talent et discipline, ce qui en fait désormais un adversaire pris au sérieux.
Les moins de 19 ans ont également marqué les esprits, avec des victoires contre l'Australie et le Sri Lanka lors de la Coupe du Monde de Cricket spécifique à cette tranche d'âge.
Cette ascension rapide du cricket afghan est d'autant plus impressionnante que l'implantation de ce sport reste récente. Jeu des troupes britanniques au XIX°, les Afghans ne s'y mettent qu'à la fin des années 1970, lorsqu'ils fuient la guerre au Pakistan. La Fédération Afghane de Cricket n'a vu le jour qu'en 1995 (au Pakistan) et l'équipe nationale a été formée seulement en 2001. Un des principaux problèmes pour l'équipe aujourd'hui est de trouver des adversaires disposés à organiser des match avec eux.
Est-ce à dire que le sport peut guérir l'Afghanistan de la guerre ? La signification du sport est internationalement reconnue avec, par exemple, la Trêve Olympique. La coupe du Monde de Rugby en Afrique du Sud, en 1995, est un exemple d'unité et de dépassement du conflit par le jeu. Cependant, ce sentiment d'unification peut être facilement détourné et récupéré, dans le cas présent par les Taliban, puisque le cricket est le seul sport qu'ils approuvent. Cela n'en fait pas moins outils intéressant dans une stratégie globale de résolution de conflit.


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