14.2.14

Des pertes civiles qui ne sont pas une fatalité

Nouveau cas de polio à Kaboul et lancement d'une campagne de vaccination -
Campagne de vaccination contre la polio, janvier 2014
REUTERS/Parwiz
Cette semaine a été lancée à Kaboul une campagne de vaccination contre la polio, après qu'un cas ait été détecté dans la capitale, le premier depuis 2001. Selon le Ministère de la Santé, la petite fille, issue d'une famille nomade Kuchi qui voyage entre l'Afghanistan et le Pakistan, aurait contracté la souche pakistanaise de ce virus contagieux, transmis notamment par les eaux contaminés par des matières fécales. Trois jours de vaccination ont donc été lancés dans la capitale pour cibler les enfants de moins de cinq ans. Ces campagnes ont normalement lieu en été et il s'agit donc là d'une réponse d'urgence de la part du Ministère de la Santé. L'Afghanistan fait partie, avec le Pakistan et le Nigeria, des derniers pays encore touchés par cette maladie. Toutefois, sa situation est bien différente de celle du voisin pakistanais, où les cas ont encore augmenté cette année, alors qu'en Afghanistan, les chiffres continuent de baisser. L'OMS s'alarme de cet accroissement des malades au Pakistan et de la possible propagation du virus au delà de ses frontières, notamment en Syrie. De plus, si les Taliban afghans ont indiqué qu'ils ne s'opposeraient pas à cette nouvelle campagne de vaccination, les insurgés pakistanais les empêchent systématiquement et abattent les volontaires. Toutefois, le docteur Sayed Omar Niazi, employé de l'ONG "Première urgence – Aide médicale internationale", qui mène des campagnes de vaccination dans plusieurs régions afghanes, ne cache pas qu'il existe encore là-bas des « zones blanches », c'est-à-dire des endroits où les médecins ne peuvent pas se rendre à cause de l'insurrection ou de la propagande anti-vaccination qui parvient depuis l'autre coté de la frontière.

L'éradication de la polio en Inde, un signe d'espoir pour la région -
La diffusion de la polio n'est cependant pas une fatalité et l'Inde a montré qu'il est possible de l'éradiquer. En effet, le pays entame sa troisième année sans nouveau cas détecté, ce qui devrait conduire les experts internationaux à déclarer le pays sans polio vers le mois de mars. Le programme titanesque d'éradication de la maladie a été démarré en 1994, alors que 4 791 cas avaient été détectés. Nata Menabde, représentante de l'OMS en Inde, déclare ainsi au Monde : « il y a quelques années, la communauté scientifique était convaincue que l'Inde ne serait pas capable d'éradiquer la polio ou serait le dernier pays à s'en débarrasser. Ce succès est monumental et historique ». Cette victoire contre la maladie laisse donc une grande marge d'espoir pour l'Afghanistan.

L'augmentation des pertes civiles en 2013 -
Les mauvaises conditions d'hygiène et la diffusion des maladies ne sont pas les seules causes de mortalité chez les afghans. Le rapport annuel sur les pertes civiles de la mission de l'ONU en Afghanistan (UNAMA), fait état d'une augmentation de ces dernières de 14 % en 2013. Ainsi, le conflit a fait 2 959 morts (soit + 7 % par rapport à 2012) et 5 656 blessés (+17%). Ce rapport est d'autant plus inquiétant que 2012 avait marqué une baisse. Ce changement est interprété comme le signe d'une évolution de la nature du conflit. Les combats sont de plus en plus menés dans des zones fortement peuplées, au sein des communautés civiles, et les populations sont ainsi victimes des tirs croisés, d'autant qu'elles sont davantage prises pour cible par les insurgés. Les engins explosifs improvisés (IED), placé par les Taliban, sont dénoncés comme une cause majeure des victimes civiles, tout comme les assassinats ciblés dont le nombre a augmenté. Les Taliban ont rejeté le rapport, qu'ils estiment être une entreprise de propagande de l'ambassade américaine. Les forces pro-gouvernementales ne sont pas épargnées non plus par l'analyse de l'UNAMA, qui estime que 59 % des victimes civiles est causé par ces dernières, du fait de tirs et de bombardements inconsidérés. Enfin, conséquence de ce rapport, l'attitude de Karzaï est également critiquée, du fait de sa politisation, jugée excessive, des pertes civiles dues aux opérations de la coalition  (3 % du total), alors que celles sur les victimes des insurgés sont plus rares.
Les inquiétudes sont aujourd'hui renforcées par l'approche des élections présidentielles, qui font craindre une augmentation de la violence. Une vidéo de propagande, mise en ligne par les Taliban et montrant la préparation d'une attaque sur un camp de la CIA en juillet 2013, semble aller dans le sens d'une sophistication du mouvement, qui serait désormais capable d'organiser des raids complexes et soigneusement préparés. Aucun vérification n'a été possible quant à la date, au lieu ou à la véracité de cet enregistrement.

La libération de 27 prisonniers de Bagram et des tensions ravivées avec Washington -

Malgré les très vives protestations américaines, 65 hommes ont finalement été libérés de la prison de Bagram, alors qu'ils sont pour Washington des insurgés taliban responsables d'attaques. Cette libération longtemps annoncée a eu lieu jeudi 13 février, provoquant la fureur des Etats-Unis. Yalda Hakim propose sur la BBC un reportage à l'intérieur de la prison de Bagram, présentée par Karzaï comme «une usine à Taliban» et qui ne cesse d'alimenter la controverse internationale. Après cette libération, l'ambassade américaine à Kaboul a exhorté le gouvernement afghan «à prendre toutes les mesures possibles pour s'assurer que les personnes libérées ne commettent pas de nouveaux actes de violence».

Nouveau plan d'action d'USAID pour sortir l'Afghanistan de « l'économie de guerre » -
Dans ce contexte de violence en augmentation, les perspectives pour l'aide internationale se redéfinissent. L'Agence Américaine pour le Développement International (USAID), un des plus importants bailleurs de fonds international, a déclaré la mise en place, cette semaine, d'un nouveau programme d'aide à destination de l'Afghanistan, d'un montant de 300 millions de dollars pour les cinq prochaines années, pour en finir avec « l'économie de guerre ». Selon Larry Sampler, à la tête des opérations de USAID en Afghanistan et au Pakistan, le retrait des troupes internationales n'a pas d'impact sur la mise en place des programmes de l'organisation, puisque celle-ci est habituée à travailler sans la présence des militaires.
Le passage d'une économie de guerre à une économie de paix est un défi majeur pour les opérations de maintien de celle-ci, et une question particulièrement complexe comme l'ont notamment montré les travaux de Jonathan Goodhand. L'économie de guerre est, en effet, à la fois la conséquence et la cause du conflit et de la crise de l'Etat et implique à la fois une économie de combat (c'est-à-dire l'allocation des ressources aux affrontements), un marché noir (par définition hors du contrôle étatique, soit une irruption de marchandises illégales) et une économie de survie pratiquée par les populations civiles. Jonathan Goodhand montre bien que ces trois strates impliquent différents types d'acteurs et de relations qui  ont tous intérêt à ce que la situation perdure, ce qui rend le passage à une économie de paix particulièrement complexe.
Le plan de USAID prévoit 125 millions de dollars pour le développement du secteur agricole et agro-alimentaire, la principale activité économique du pays, 100 millions de dollars d'aide aux universités et enfin 77 millions de dollars à l'ouverture économique de l'Afghanistan, à la finance et au commerce mondial. Allant dans ce sens, l'Union Européene a d'ailleurs annoncé, cette semaine, la conclusion d'un accord avec Kaboul portant sur l'adhésion du pays à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Ce traité est présenté comme une premier étape vers la participation du pays à l'organisation internationale, ce qui devrait, selon le commissaire européen Karel De Gucht, «aider à la stabilisation et au développement économique de l'Afghanistan ».

« Kaboul Unité Spéciale », des programmes télévisés pour renforcer l'État de droit -
Le réalisateur Saba Sahar au cours du tournage d'une série télévisée à Kabou, mai 2011
| Reuters/Ahmad Masood
Les modalités de mise en place des différentes aides et traités internationaux sont souvent remises en cause dans les pays concernés. En effet, une critique récurrente des opérations de maintien de la paix ou de développement est celle de l'approche par le haut : les élites sont privilégiées et on oublie les populations Dorn Townsend montre comment l'Afghanistan expérimente aujourd'hui, avec des programmes télévisés et radiophoniques, une présentation et une information sur le système étatique de justice, afin d'illustrer son utilité par rapport aux mécanismes traditionnels, qui entravent la construction d'un État de droit. Plusieurs programmes afghans, financés par l'aide internationale, sont proposés. « Eagle Four », « Defenders » ou « Commissar Amanullah » sont des exemples de fictions policières mettant en scène une police et une justice intègre et efficace. « One Village, A Thousand Voices », un roman radiophonique proposé par USIP (United States Institute for Peace) met en scène de jeunes villageois entraînés dans des dilemmes légaux. Ces fictions sont vues comme le moyen de diffusion le plus efficace des principes de l'État de droit. Selon Townsend, l'exemple le plus flagrant, parce que le succès est au rendez-vous, est « Crime Scene », une émission réalisée par Shoresh Kalantari, qui s'entretient avec les victimes et les auteurs de crimes dont les systèmes de croyance s'entre-choquent souvent avec le nouveau système judiciaire. Le succès de l'émission, les courriers reçus et les gains obtenus par les victimes sont le témoignage de l'impact que peut avoir un tel programme.

Les réels progrès de l'Afghanistan parfois difficile à communiquer -
Ainsi, de réels progrès ont été faits en Afghanistan, même si les articles ou les émissions sur la corruption et les Taliban ont tendance à les faire oublier. Un exemple flagrant est notamment l'explosion technologique du pays, avec 20 millions de téléphones portables et un accès pour 60 % des utilisateurs d'internet à une connexion mobile.
Cependant, la ligne est parfois fine entre un discours positif sur un pays principalement associé à la violence dans les médias et propagande, comme l'a appris à ses dépends USAID cette semaine. L'agence a effectivement annulé une proposition de contrat à des photographes afin de mettre en avant « une image positive » de son action en Afghanistan. Le but, selon un représentant d'USAID, était notamment de mieux informer les Afghans sur l'assistance américaine, ce qui a été dénoncé comme une simple tentative de propagande au détriment de l'action de terrain.

L'art, un moyen de changer l'image du pays -

Les artistes afghans actifs sur la scène internationale sont peut-être le moyen de développer une image positive du pays et de rappeler sa riche culture. C'est notamment le message du Dr. Ahmad Sarmast, à l'origine du Afghan Youth Orchestra, mélange original de musique traditionnelle afghane et de musique classique, qui permet à 175 garçons et filles défavorisés d'apprendre la musique et de recevoir une éducation complète. Cet orchestre, associé à l'Institut National de Musique Afghan et au Ministère de l'Éducation, se produit désormais à travers le monde, exemple de réussite pour le pays où, sous le régime des Taliban, la musique profane était interdite et les instruments brûlés. La musique permet donc d'illustrer l'émergence de la liberté de création et de parole dans le pays. Ainsi, Hasan Besmil a surpris son auditoire lors de son passage dans l'émission Qabe Goftogo sur Tolo Tv, avec des paroles très engagées en faveur de la signature de l'accord bilatéral de sécurité avec les États-Unis. Il s'agit là de la dernière composition du chanteur très populaire de musique traditionnelle.
La portée et la signification de l'art sont justement abordées dans l'entretien avec Meena Saifi. L'artiste peintre afghane explique que l'art permet de partager notre imagination avec le monde, mais aussi de faire entendre sa voix intérieure. L'un des motifs récurrents de ses œuvres est l'oiseau, vu comme un symbole de liberté, d'espoir et de paix. Son succès grandissant lui  permet de faire (re)découvrir la résilience, la beauté et la richesse de son pays d'origine.
Enfin, l'art est également un moyen pour Khadim Ali, peintre Hazara qui après avoir longtemps vécu en exil au Pakistan est aujourd'hui installé en Australie, de retrouver son identité et de se réconcilier avec une histoire difficile. Son travail prend racine dans la riche mythologie afghane, qu'il réinterprète de manière très moderne. Ses œuvres se retrouvent non seulement sur toile mais également sur des tapis, pour lesquels une équipe de tisseurs traditionnels de Kaboul mêlent techniques ancestrales et informatiques.

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