21.2.14

25 ans après le retrait soviétique: héritages et perspectives

Le 15 février marquait les 25 ans du retrait soviétique d'Afghanistan. Cet anniversaire a été l'objet de commémoration mais aussi d'une réflexion sur l'impact de l'intervention russe, d'une comparaison avec la situation actuelle et l'occasion, donc, de dresser un bilan et d'évoquer les perspectives pour le pays.

  • Commémoration du retrait soviétique d'Afghanistan le 15 février 1989.
Cette semaine Russes et Afghans ont commémoré les 25 ans du départ des troupes soviétiques d'Afghanistan, le 15 février 1989. L'anniversaire de la fin de ce conflit, qui a fait au moins 14 000 morts, 49 983 blessés dont 7 000 en ont gardé des séquelles coté soviétique (ces chiffres sont encore aujourd'hui disputés, le Kremlin les aurait largement sous-évalués) et des centaines de milliers de morts côté afghan (le nombre exact n'est aujourd'hui pas connu), a été célébré de manière assez discrète.
En Afghanistan, cet anniversaire a pourtant été commémoré. Al-Jazeera a notamment proposé de revenir sur le soulèvement d'Hérat, en mars 1979, qui fut l'un des premiers mouvements de soulèvement contre le régime communiste. Les Taliban, quant à eux, ont profité de l'occasion pour menacer les Forces de la Coalition et exiger une nouvelle fois leur départ complet.
En Russie, ce conflit, encore particulièrement présent dans les esprits, a été commémoré à Saint Petersbourg par la reconstitution d'une bataille de l'Opération Mistral les 7 et 8 janvier 1988. Cette bataille est d'ailleurs à l'origine du film de Fyodor Bondarchuk, « Le 9ème Escadron ».
Mais alors que les images des troupes soviétiques traversant le pont de l'Amitié vers l'Ouzbékistan abondent de nouveau dans les médias, quelle mémoire est aujourd'hui celle du conflit ?

Convoi soviétique quittant l'Afghanistan le 15 février 1989

  • Quelle mémoire aujourd'hui pour le conflit soviéto-afghan ?
Dès le mois de décembre 1989, le parlement soviétique a passé une résolution déclarant que l'engagement de l'URSS en Afghanistan était une erreur. Cette résolution illustre ainsi toute l’ambiguïté qui existe autour du conflit et qui a pu être à l'origine d'un certain malaise chez les vétérans. Certains groupes de vétérans réclament d'ailleurs que le président Poutine reconsidère cette évaluation négative. Cette semaine a donc parfaitement illustré l’ambiguïté qui entoure cet épisode, entre hommage aux vétérans et réhabilitation de la mémoire du conflit ou commémoration de l'ampleur des victimes et dénonciation de l'intervention.
Ainsi, à Sotchi, VladimirPoutine a rencontré des vétérans et leur a dit être conscient de l'impact de la guerre « non seulement sur leur vie personnelle mais aussi sur la vie de notre peuple tout entier » (selon une retranscription officielle du Kremlin), ce qui a aussi été l'occasion d'un bref moment de propagande sur l'effet positif des jeux olympiques sur les infrastructures de la ville de Sotchi. Le ministre de la Défense russe, Sergei Shoigu, a lui aussi salué les vétérans, qualifiés de « véritables patriotes ». L'Ukraine et la Moldavie ont décrété que 2014 serait "l'année des vétérans de la guerre d'Afghanistan".
Vladimir Poutine et les vétérans de la guerre d'Afghanstan
à Sotchi | Moscow Times

Pour BorisPavlichtev, dans la Voix de Russie, cet anniversaire est l'occasion de parler d'une empreinte « positive » de la Russie en Afghanistan puisque, selon lui, la présence soviétique a permis la construction de nombreuses infrastructures. Toujours dans le même article, il va jusqu'à écrire que les « Afghans reconnaissants avaient beaucoup de respect pour les enseignants soviétiques, les ingénieurs, les médecins, les géologues ». Une position qui peut sembler étonnante si l'on considère le discours négatif autour de l'intervention (plutôt nommée invasion) entre 1979 et 1989 et les documents de l'époque, qui confirment un rejet général, de la population russe comme afghane, de la guerre.
C'est donc la mémoire difficile d'un conflit, qui a eu une portée énorme et de long terme sur l'Afghanistan comme sur l'URSS (et la Russie). À ce propos, les travaux de Rafael Reuveny et Aseem Prakash montraient, en 1999, le rôle de la guerre d'Afghanistan dans l'effondrement de l'URSS. Aujourd'hui, d'anciens participants au conflit n'hésite plus à publier le récit de leurs expériences, ce qui a longtemps été difficile, et des livres comme « Afgantsy, les Russes en Afghanistan » de Robric Braithwaite, permettent davantage de faire le point sur le conflit et son impact.
Si ce travail de mémoire est particulièrement important, il est également compliqué par les tentations de comparaison qui l'accompagne.
  • La tentation de la comparaison
La première comparaison qui vient à l'esprit est celle de la guerre du Vietnam, sujet particulièrement sensible. Le NewYork Times, le 16 février 1989, écrivait d'ailleurs que les Soviétiques ne voulaient pas quitter l'Afghanistan en désordre « comme les Américains se hissant dans leurs hélicoptères du toit de leur ambassade, alors que Saïgon s'effondrait autour d'eux ». En effet, le départ des dernières troupes soviétiques, menées par le général Boris Gromov, avait été minutieusement orchestré avec une foule massée à la frontière venue l'acclamer, et son fils l'accueillant avec un bouquet d’œillets rouges.

Le général Gromov et son fils

Aujourd'hui la comparaison est bien plus tentante encore avec l'engagement actuel des forces internationales et leur retrait prévu cette année. Cela est d'autant plus facile qu'un nouveau sondage Gallup montre que la moitié de la population américaine pense que l'entrée en guerre des Etats-Unis en 2001 était une erreur.
  • Tirer les leçons du passé ?
La question, largement évoquée par la presse, est le devenir du pays après le retrait des troupes, d'autant qu'il semble désormais clair pour plusieurs spécialistes que Hamed Karzaï ne signera pas le traité bilatéral de sécurité, reportant donc la question à après les élections. Toutefois, le président afghan a affirmé ne pas être opposé à une présence limitée des forces internationales dans le pays. À l'inverse, des critiques n'hésitent pas à mettre en avant la nécessité d'un retrait total.
Cependant, une crainte souvent exprimée dans l'éventualité d'une option zéro, est le retour à la guerre civile et au chaos, comme dans la période 1989 - 1996. Le discours, à ce propos, se veut pourtant rassurant. Le général Sher Mohammad Karimi a ainsi affirmé, lundi, que les force de l'Armée Nationale Afghane (ANA) sont parfaitement capables d'assurer la sécurité du pays et Jim Michaels écrit également, cette semaine, sur la surprenant efficacité de l'ANA. Ce discours optimiste est remis en cause par l’évaluation de chercheurs comme Antionio Giustozzi et Cornelius Friesendorf qui ont pointé du doigt les faiblesses de l'ANA, lors d'un séminaire en ligne proposé mercredi dernier par le Center for Security Governance, un think-tank canadien.
Enfin, le dernier point de comparaison entre les perspectives actuelles pour l'Afghanistan et la situation lors du retrait soviétique est l'implication régionale. Elle constitue une différence majeure, puisque les voisins du pays sont aujourd'hui largement concernés et impliqués. L'Inde, par exemple, rappelle régulièrement son engagement dans la reconstruction, la stabilisation et le développement du pays. L'Iran, cette semaine, a encore appelé à une coopération accrue entre Téhéran et Kaboul.

  • Quel engagement pour la Russie aujourd'hui ?
La Russie n'est bien sûr pas absente de cet équilibre régional. La stabilité de l'Afghanistan a sur elle un impact important, l'inquiétude de Moscou portant sur le fondamentalisme islamiste et la culture du pavot. Actuellement, un tiers de l'héroïne produite en Afghanistan entre en Russie, comme destination finale ou point de transit. Victor Ivanov, le directeur des Services Fédéraux Russes de Contrôle des Narcotiques, a déclaré à ce propos que « le trafic de drogue afghan est comme la vague d'un tsunami se brisant constamment sur la Russie – nous nous y noyons ».
Même si la Russie n'a pas participé à la coalition des forces internationales, elle reste active sur place, notamment en tant que fournisseur d'armes et de matériel militaire pour Kaboul. La politique russe est donc complexe et multi-vectorielle. Elle oscille entre rhétorique hostile face à la présence occidentale en Asie Centrale et pragmatisme, qui la pousse plutôt à soutenir cette présence afin de contenir les menaces suscitées.

  • Quel héritage pour l'intervention de l'OTAN : le droit des femmes
L'actualité de la semaine s'est aussi focalisée sur l'héritage des deux interventions internationales en Afghanistan en 1989 et 2001, et sur la question du droit des femmes. HamidKarzaï a annoncé cette semaine le renvoi, auprès du Ministère de la Justice, d'une loi empêchant le témoignage des familles des victimes de violence domestique, adoptée par les deux chambres du Parlement et en attente d'être promulguée. Cette loi, largement décriée par la communauté internationale, n'entrera donc pas en vigueur et son texte sera réexaminé.

"La violence contre les femmes est une insulte à la dignité humaine" peut-on lire sur la banderole lors d'une manifestation la semaine dernière | crédit Wazhma Samandary

L'Afghanistan Analyst Network parle, à ce sujet, « d'une guerre sans perspective de fin : les réactions violentes à l'égard des droits des femmes afghanes ». L'article revient en détail sur la législation en vigueur mais aussi sur les témoignages et rapports attestant d'une détérioration de la condition féminine dans le pays. Pourtant, le Ministère des Affaires Féminines a annoncé la rédaction d'un projet de loi, qui sera dévoilé lors de la Journée Mondiale de la Femme, dont le but est de renforcer les droits et l'indépendance économiques des femmes dans le pays.

La situation est donc contrastée et hétérogène. Il n'existe pas un seul mouvement allant vers le progrès ou, au contraire, vers un retour en arrière, mais plutôt, une multitude de courants qui s'affrontent au sein d'une société aux dynamiques complexes. Le projet de webdocumentaire proposé par Delphine Renou et Rémy De Vlieger peut permettre de mieux appréhender cette question, grâce aux témoignages de celles qui luttent pour leur émancipation et rappellent qu'elles sont prises en tenaille entre tradition et modernité.

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