10.1.14

Les conséquences de l'insécurité sur les civils

L'actualité de cette semaine a été marqué par deux principaux événements : l'utilisation présumée d'une petite fille pour un attentat suicide et la publication des mémoires de Robert Gates, ancien ministre de la Défense américain, dans lesquelles il critique la politique de Barack Obama en Afghanistan. Ces deux faits viennent rappeler les difficultés pour les forces de la FIAS de "gagner les cœurs et les esprits" malgré une insurrection particulièrement brutale envers les civils. Les interprétations divergentes de concepts essentiels, comme la justice ou le droit, entravent également la coopération entre l'Afghanistan et les forces internationales. Enfin, la poursuite des criminels de guerre, tout comme la reconnaissance des crimes de guerre, représente également un défi pour le pays et la communauté internationale.

L'histoire de Spozhmai illustre les difficultés du journalisme en Afghanistan -
Une nouvelle a particulièrement marqué la presse cette semaine ; l'histoire de Spozhmai, une petite fille de 10 ans, que son frère, un commandant Taliban local de la province d'Helmand, aurait équipée d'un gilet explosif pour commettre un attentat suicide contre les autorités. Cette dernière aurait refusé au dernier moment et aurait trouvé refuge auprès de la police. Son récit a été filmé et largement repris, Hamed Karzaï s'est même exprimé sur le sujet.
Cependant, le Guardian souligne que ce récit contient de nombreuses incohérences et qu'il met particulièrement en lumière la problématique de collecter des informations en Afghanistan, dans des secteurs reculés ou en proie à l'insurrection, comme c'est le cas dans la province d'Helmand. Cette difficulté à couvrir l'actualité afghane est encore accrue par la situation difficile des journalistes dans le pays. Ainsi, cette année, trois reporters ont été assassinés et 70 autres ont déclaré des agressions à la police. La presse doit toujours faire face à de nombreuses menaces, comme les organisations criminelles pratiquant le trafic de drogue et le kidnapping, ou la politisation du crime de « blasphème ». D'après Siddiqullah Tawhidi, les violences faites aux journalistes montrent que le gouvernement « ne se confronte pas sérieusement la question ».

Les conséquences des violences faites sur les civils déterminantes quant à leur soutien aux combattants -
Au-delà des difficultés de vérification de l'information, l'histoire de Spozhmai invite également à considérer les stratégies employées par l'insurrection et leur impact sur les civils. 
Même si les Taliban nient avoir envoyé la petite fille dans une mission suicide, ils n'ont pas hésité à utiliser des enfants pour des attaques suicides antérieures. Ces techniques particulièrement violentes sont responsables, d'après la mission des Nations Unies en Afghanistan, des trois quart des morts et des blessés civils, dont le nombre a considérablement augmenté cette année.
Cependant, malgré l'extrême brutalité des Taliban vis-à-vis des civils, une étude menée par Jason Lyall, Blair Graeme et Imai Kosuke montre que ceux-ci éprouvent moins de rancune envers les Taliban qu'envers les forces de la FIAS lorsqu'ils sont victimes de violences par l'une ou l'autre des parties. Les trois chercheurs ont interrogé 3 000 Afghans dans 204 villages, à majorité pachtoune, et en ont conclu qu'une baisse de soutien pour l'insurrection ne signifie pas non plus un transfert de celui-ci vers les troupes de la coalition. Les conclusions de ces trois chercheurs semblent donc contredire les principes de la contre-insurrection fondés sur « la bataille des cœurs et des esprits », qui passe notamment par la dénonciation des crimes des insurgés dans l'optique de gagner des sympathisants. Des études antérieures sur les conflits armés internes ont d'ailleurs démontré que le niveau de violence à l'égard des civils dépend principalement de la structure des organisations insurgées, alors que le soutien de la population est une question secondaire dans le processus de décision de ces organisations. La participation et l'engagement des civils ont été analysés comme le résultat de nombreux facteurs correspondant à la fois à des griefs, à la cupidité des acteurs ou encore au contexte social de l'insurrection, c'est-à-dire que la constitution d'une société est un facteur déterminant dans le recrutement
Morwari Zafar, anthropologue, attribue ce décalage entre les conceptions de l'armée américaine et les réalités afghanes a une mauvaise formation des forces américaines qui se sont, selon elle, trop appuyées sur les informations fournies par la diaspora afghane présente aux États-Unis, et particulièrement sur la jeune génération, qui n'avait finalement que des connaissances limitées et biaisées de leur pays d'origine où ils n'avaient jamais mis les pieds.

L'impact des divergences de conception en matière de droit et de justice entre l'Afghanistan et ses alliés -
Selon cette même anthropologue, le manque de compréhension entre les décideurs américains et la population afghane est également visible dans les pratiques de justice, comme l'a montré le procès du sergent Robert Bales. Morwari Zafar estime que, dans le district de Panjwai, province de Kandahar, où Bales est accusé d'avoir tué 16 civils Afghans, la conception de la justice est fondée sur une série de traditions et non sur une procédure judiciaire fixée, à l'opposé, donc, de la cours martiale à laquelle a été soumis Bales. Les familles des victimes auraient ainsi eu la sensation d'être lésées et privées de justice. Comprendre la vision de la justice de ces communautés est donc un élément essentiel pour les forces de l'OTAN.
De même, une certaine incompréhension pourrait être à l'origine du hiatus entre Hamed Karzaï et Washington quant à la signature de l'accord bilatéral de sécurité. Si le refus par le président afghan de le parapher a largement été interprété par Washington comme une manœuvre politique, Corri Zoli et Emily Schneider rappellent que la question de l'inviolabilité du domicile, mis en avant par Karzaï pour justifier son refus, n'est pas qu'un prétexte mais reflète une conception de la protection du domaine privée profondément ancrée dans la culture afghane. Selon les deux chercheuses, la protection du domicile en Afghanistan, et plus largement dans les pays musulmans, est comparé à tort avec la conception constitutionnelle occidentale. Elles soulignent que la protection du domicile relève pour les Afghans de l'ordre du sacré et d'une injonction religieuse bien plus forte que ce que l'on retrouve dans la déclaration des droits de l'homme, par exemple.

Les mémoires de Robert Gates compliquent encore la signature de l'accord bilatéral de sécurité -
Jason Reed/Pool/AP
Mais cette question n'est pas le seul facteur qui complique la signature de l'accord de sécurité bilatérale. Cette semaine, des extraits des mémoires de Robert Gates, l'ancien ministre de la Défense américain qui a servi sous G. Bush puis B. Obama, ont été publiés dans la presse américaine. Dans son livre, Robert Gates critique la politique du président Obama en Afghanistan, en affirmant notamment que ce dernier ne voulait pas cette guerre et cherchait à la finir au plus vite, ne faisait pas confiance au haut commandement militaire, avait l'impression que l'on se jouait de lui et surtout qu'il ne pouvait pas supporter Hamed Karzaï. La Maison Blanche a tenté de se défendre sans toutefois désavouer l'ancien ministre de la Défense. Cette publication arrive à un moment critique pour Washington, d'autant plus, selon le New-Yorker, les États-Unis sont prisonnier du jeu de Karzaï, qui bloquerait la signature pour son propre gain politique. Amy Davidson revient dans ce même article sur les risques de fraudes lors des prochaines élections afin de faire perdurer l'influence de l'actuelle président et de son entourage.

Une justice pour les crimes de guerre -
Séance de travail au Sénat | Pajhwok Photo Service
Cette élection présidentielle fait également l'objet de débats car plusieurs des candidats sont accusés d'être des criminels de guerre. Mir Ahmad Joyenda, ancien parlementaire, estime que le peuple afghan réclame justice pour les violences commises et que la communauté internationale, par sa stratégie, a contribué à remettre le pouvoir « aux mauvaises personnes ». Pour le moment, le Sénat (Meshrano Jirga), est largement divisé sur la question. Certains de ses membres estiment que la volonté de supprimer les noms de certain candidats des listes est une conspiration.

Les Nouvelles d'Afghanistan, publiées par l'association AFRANE, revient sur la liste de 5 000 personnes exécutées entre 1978 et 1979, publiée par l'Unité des Crimes Internationaux de la police néerlandaise, qui a permis aux familles des victimes d'avoir des réponses sur le sort de leurs proches. Faire la lumière sur les exactions commises pendant ces dernières décennies de guerre est un processus long et complexe mais qui semble nécessaire à la reconstruction de la nation.