6.1.14

Fêtes de fin d'année à Kaboul

L'actualité de ces deux dernières semaines a, bien sûr, été marquée par la célébration des fêtes de fin d'année par les troupes, malgré l'impopularité croissante du conflit et les estimations pessimistes sur la situation sécuritaire du pays, alors que la question des accords de sécurité reste toujours en suspend. Et dans cette incertitude sur l'après 2014, c'est la fragilité du statut de réfugié pour les Afghans qui a été mis en lumière en Belgique. Enfin les célébrations n'ont pas seulement concerné les troupes, mais le 1er janvier est aussi « l'anniversaire de tous les Afghans ».

Noël à Kaboul pour les forces américaines malgré l'impopularité croissante du conflit –
Les troupes de l'ISAF ont célébré ce qui restera pour beaucoup d'hommes leurs dernières fêtes de fin d'année en Afghanistan. Malgré les deux roquettes tirées sur l'ambassade des États-Unis à Kaboul, le 25 décembre, ne faisant aucune victime, et les attaques sur les troupes de l'ISAF, les armées ont pu partager les fêtes avec Kader Arif, Ministre délégué aux Anciens Combattants ou Kellie Pickler, une chanteuse country américaine. Cette dernière était venue remercier les troupes américaines basées à Kandahar pour leur service, alors qu'un récent sondage, effectué auprès de la population américaine, montre que 66 % des personnes interrogées doutent de l'utilité de la guerre en Afghanistan. Ce qui est pour l'armée américaine l'engagement extérieur le plus long de son histoire se révèle également être le plus impopulaire, plus impopulaire même que la guerre du Vietnam ou celle d'Irak.
Noël et la Saint-Sylvestre ne sont d'ailleurs pas les seules traditions que poursuit l'armée américaine en opération. Alors que le reste du Commonwealth s'élançait dans le Boxing Day, comprenez les soldes du lendemain de noël, le Pentagone débutait ses « White Goods Sales » en Afghanistan, c'est à dire la vente aux enchères du matériel américain non-militaire qu'il n'est pas possible de rapatrier à la fin des opérations.

Rapport des agences de renseignement pessimiste sur l'évolution du conflit jusqu'en 2017 –
Le pessimisme américain ne concerne pas uniquement l'opinion publique ; une récente estimation des services de renseignement nationaux (National Intelligence Estimate), qui synthétise la position des seize agences de renseignement que comptent les États-Unis, révélée par le Washington Post, prévoit que l'Afghanistan pourrait sombrer rapidement dans le chaos, si les troupes internationales devaient quitter complètement le pays, en cas de non signature de l'accord bilatéral de sécurité. Richard Williams, ancien commandant des troupes du Special Air Service (SAS), a également affirmé, dans une interview accordée au Times, que les zones du sud, et notamment la province d'Helmand, risquaient fortement de tomber entre les mains des Taliban après le retrait britannique.
Bien que le récent rapport américain traduise un consensus de la communauté du renseignement, certains officiels le perçoivent comme beaucoup trop pessimiste. Hamed Karzaï l'a également dénoncé et l'a interprétée comme une pression supplémentaire pour la signature de l'accord bilatéral de sécurité.

Accords de sécurité et engagement des troupes de l'ISAF –
Ursula von Der Leyen à Mazar-i-Sharif
 |© Johannes Eisele/AFP Photo/GettyImages
La date limite sur ce dernier a d'ailleurs été repoussée par Washington au mois de janvier malgré les appels répétés pour une signature avant fin décembre, date butoir initialement annoncée. En cas de non signature et de retrait total des troupes internationales, Missy Ryan évoque dans son analyse les autres moyens d'action en Afghanistan dont disposent Washington.
Du coté européen, la ministre de la Défense Allemande, Ursula Von der Leyen, qui s'est elle rendue en Afghanistan, a affirmé le souhait de l'Allemagne de poursuivre son engagement dans le pays mais dans un cadre défini par un accord entre l'OTAN et le gouvernement afghan. Les négociations de cet accord ont d'ailleurs débuté, mais elles sont largement dépendantes de la signature de l'accord bilatéral de sécurité entre Washington et Kaboul.
Pour les Canadiens en revanche, il s'agit bien du dernier noël en Afghanistan. Il ont entamé leur cent derniers jours de déploiement et tiennent à mettre en avant ce qu'ils ont accompli pendant leur mission grâce à la publication, chaque jour, d'un cliché pris pendant les dix dernières années, sur le compte Flickr de l'armée canadienne.

La marche des réfugiés afghans en Belgique –
Si la Belgique a annoncé le 14 décembre qu'elle maintiendrait son déploiement en Afghanistan,  400 demandeurs d'asile afghans dont les dossiers sont en cours d'examen ou ont déjà été déboutés se sont regroupés dans un collectif afin de demander une régularisation collective et un moratoire sur les expulsions avant que les autorités belges n'aient statué sur la dangerosité de l'Afghanistan. Du 20 au 23 décembre, quelques 250 Afghans de ce collectif se sont mis en marche pour rejoindre Mons, ville du premier ministre Elio Di Rupo, depuis l'église du Béguinage de Bruxelles dans laquelle ils sont installés depuis un mois. Une délégation a été reçue, le mardi 24, par la secrétaire d'État à l'Asile et aux Migrations, Maggie De Block, en présence du premier ministre. Ils ont alors été invité à déposer à nouveau leurs demandes d'asiles en y joignant de nouveaux éléments concernant la situation de leur pays. Une nouvelle rencontre devrait avoir lieu dans le courant du mois de janvier. Cependant la question n'est pas complètement réglée, puisqu'aucune décision n'a été prise, la politique belge restant pour le moment inchangée. Les autorités belges restent divisées sur le sujet et les messages sur la situation en Afghanistan sont contradictoires.
En ce qui concerne le droit international, la Convention de Genève de 1951 sur le Statut des Réfugiés définit celui-ci comme « une personne qui craint avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou pour ses opinions politiques », ce qui ne prend donc en compte que les menaces personnelles et non la situation du pays. Selon Selma Benkhelifa, l'avocat du collectif, la politique d'asile du gouvernement belge ne prenant pas en compte le contexte du pays d'origine des réfugiés « n'est pas humaine ». La question est particulièrement importante pour les Afghans qui représentent un réfugié sur quatre dans le monde, soit la communauté la plus importante. Ils sont principalement présents au Pakistan et en Iran, ce qui ajoute à la complexité de leur situation. En effet, si la Belgique déboute nombre d'entre eux, c'est parce qu'elle ne les considère pas comme de « vrais Afghans » puisque beaucoup d'entre eux ont longuement séjourné en Iran ou au Pakistan. Cela fragilise encore davantage le droit de ces personnes qui sont renvoyées en Afghanistan ; mais tous ne peuvent pas rentrer dans leur pays d'origine puisque Kaboul ne délivre pas les « laissez-passer » nécessaires pour le retour.

Le 1er janvier, l'anniversaire de tous les Afghans –
Ce début d'année a fait l'objet de nombreuses célébrations en Afghanistan. En plus des premières neiges
Premières neige à Kaboul |@Tolonews.com
sur Kaboul accueillies avec beaucoup de joie, le 1er janvier marque également l'anniversaire de nombreux Afghans. En effet, en raison des conflits ayant empêchés la tenue des états civils par le gouvernement, beaucoup ignorent leur exact date de naissance et ont donc choisi le 1er janvier pour les démarches officielles ou les réseaux sociaux, au succès grandissant en Afghanistan. Cette anniversaire collectif est aujourd'hui l'objet de nombreuses plaisanteries et même de célébrations publiques, cependant cela reste une question importante.
L'absence d'enregistrement des naissances persiste encore dans les zones rurales et constitue une entrave à la protection des droits des citoyens et notamment des enfants. Les registres de l'état civil sont la seule « preuve » de l'existence d'un enfant et peuvent notamment l'aider en cas de candidature au statut de réfugié, mais ils sont également utiles pour établir une estimation de la population et de sa composition ethnique. Cette dernière question est particulièrement sensible dans un État où les identités communautaires sont multiples.
Récemment, le projet du gouvernement de mettre en place des cartes d'identités sans mention de l'ethnicité des citoyens a suscité de nombreux débats et a plutôt tendu à rappeler les divisions et les tensions persistantes. Un des plus important problème concerne la répartition du pouvoir entre le groupe majoritaire, les Pachtounes, et les groupes minoritaires, qui accusent régulièrement le premier d'être surreprésenté au sein de l’État.
Un enjeu majeur pour l'Afghanistan est donc désormais de forger une identité nationale fédératrice. À ce titre, le sport peut jouer un rôle très important, à travers l'équipe de cricket par exemple ou celle de football dont la victoire, que Tolo news voit comme l'un des évènements les plus marquants de l'année pour le pays, a suscité de nombreuses scènes de liesse, ou à travers un renaissance de la scène culturelle ou la protection d'un patrimoine national. Le retour de l'industrie cinématographique est un exemple, ou encore la mise en valeur d'une réserve naturelle nationale, classée sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO, et désormais protégée par des gardes forestiers féminins.