
Le 26 avril 2011 se tenait, à Paris, une conférence organisée par le groupe URD (Urgence Réhabilitation Développement) : « Kaboul, Aceh, Port-au-Prince… La ville face aux crises » dont le thème était développé à travers trois axes de réflexion : les fragilités urbaines risques et prévention, les actions humanitaires en ville et les enjeux de la reconstruction urbaine après une catastrophe naturelle ou un conflit armé.
La ville, zone de vulnérabilité

En introduction, Pierre Schapira (adjoint au Maire de Paris, chargé des Relations internationales, des Affaires européennes et de la Francophonie) et François Grünewald (Directeur Général du groupe URD) partent du constat que plus de la moitié de la population mondiale vit en ville. Migrations et croissance démographique sont les principales causes de ce phénomène d’urbanisation. Pourtant, bien qu’elle tende à s’accroître avec le temps, la ville est une zone de grande vulnérabilité qui tente de garder un équilibre entre développement et autodestruction. En effet, en dehors du fait que de nombreuses crises peuvent toucher la ville (crises alimentaire, économique, catastrophes naturelles, conflits armés), elle attire la pauvreté et beaucoup d’entre elles sont construites sur des zones dangereuses. Enfin, la confusion des gouvernances et de l’étendue de leurs responsabilités, lorsqu’une partie de la cité est constituée d’habitations illégales, et la corruption propre à certains pays ne facilitent pas le développement et la reconstruction.
Les autorités locales, les ONG et les aides internationales (dans le cadre d’une coopération entre deux villes par exemple) doivent faire face à de nouveaux problèmes pour reconstruire une ville quand celle-ci a été détruite. Il ne s’agit pas de rebâtir tout simplement des maisons, il faut aussi déterminer à qui celles-ci appartiennent, a qui sont-elles louées, leurs propriétés ou leurs situations sont-elles légales ou illégales, par qui leurs zones d’occupation sont-elles administrées, et comprendre le tissu social inhérent aux différents quartiers : les infrastructures qui le composent, l’historique de sa construction, les relations de voisinages, les rapports sociaux entre les habitants… Sans un échange et une coordination avec les autorités locales, tout projet devient rapidement difficile à mettre en oeuvre.
Les spécificités des villes afghanes

Nicolas Villeminot (référent Eau, Assainissement et Hygiène à Action contre la Faim) explique que les villes afghanes ne sont pas adaptées à la croissance démographique. Construites, à l’origine, pour un nombre limité d’habitants, celui-ci s’est multiplié en quelques années.
L’exemple de Kaboul est, en ce sens, frappant. En 1978 il y avait 600 000 habitants dans la capitale afghane, 4 ans plus tard ils étaient 2 millions. Ce chiffre est aujourd’hui passé à près de 5 millions (en 2001, après la chute des Talibans, Kaboul a vu déferler toute la diaspora afghane réfugiée jusqu’alors dans les pays limitrophes, car c’est là que l’aide humanitaire a été centralisée). Le milieu urbain afghan est complexe, doté d’un tissu social mélangeant différentes ethnies, des associations locales ou internationales, des commerces, des mouvances sociales et politiques souvent opposées, des histoires individuelles… Cela génère de la discrimination et de l’exclusion. A ce premier niveau de complexité se rajoute celui de la prise de décision : municipalité, ministères, gouvernements national et local. Les pouvoirs et les zones administrées sont mal définis et, par conséquent, freinent ou empêchent les progrès de la reconstruction. Les ONG ne savent pas à qui s’adresser et les institutions ont du mal à savoir quelles sont leurs attributions.


Pour Florence Egal (spécialiste en sécurité alimentaire, nutrition et moyen d’existence à l’organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture), toutes les crises ont un impact sur la sécurité alimentaire. Cela se traduit, en Afghanistan, par des problèmes de logistique : villes coupées des zones d’approvisionnement, augmentation de la population, carences de production d’énergie et d’acheminement de l’eau.
Kaboul, ville symbole et cible


Kaboul, comme les autres villes afghanes, est difficile à délimiter en termes de limites de la ville et de plan d’occupation des sols. En effet, entre la ville « légale » et « illégale » les frontières sont floues. Si le centre urbain est couvert par les ministères, les autorités locales et nationales, et les administrations techniques, le reste, c'est-à-dire la majorité de la ville se développe de façon anarchique et totalement hors contrôle. Le système administratif fonctionne seulement pour une petite partie de la ville, et encore marche t’il de façon chaotique. Les zones urbaines constituées d’auto-construction spontanées et illégales ne sont pas considérées par les autorités comme faisant partie de la cité (même si elles représentent plus de la moitié du territoire urbain), elles ne sont en conséquence pas administrées par les autorités municipales. Il y manque tous les réseaux d’infrastructure et tous les services de base. Vu l’absence de cadre administratif, des quartiers urbains privés se développent en dehors de toute responsabilité publique, empiétant souvent sur le domaine public.

A la fin de son intervention, Béatrice Boyer expose les forces et les faiblesses de l’urbanisation en Afghanistan. Les difficultés principales à surmonter pour intervenir en milieu urbain entre programme d’aide et réalités locales sont le manque de compétences locales et internationales en urbanisme, la complexité de la prise en compte du foncier, la non fiabilité de la cartographie urbaine et le manque de connaissance en la matière, le défaut de coordination entre les différents acteurs (autorités locales, ONG, populations), des projets et des financements trop ponctuels et trop courts dans le temps,.. Ce constat est quelque peu contrebalancé par le fait que les ONG irriguent à peu près tout le territoire et qu’elles commencent à avoir une très bonne connaissance du pays, de la population et de la culture afghane. Elles sont neutres face aux conflits et disposent de plus en plus d’expertises sociales pour aider les autorités et les populations locales.
En conclusion, Béatrice Boyer propose différentes pistes de réflexion : financer des expertises sur la ville dès les phases de post-urgence : urbanisme, techniques fiscales, municipales, foncières, d’aménagement, politiques urbaines ; renforcer les expertises d’ingénierie sociale développée par les humanitaires pour être associées à des programmes de développement ; Intervenir structurellement sur les réseaux urbains existants ou à créer plutôt que ponctuellement par des programmes sectoriels ; s’impliquer davantage dans « ce qui ne se voit pas » mais est indispensable au bon fonctionnement urbain et à la qualité de vie des habitants : l’assainissement, la résorption des différentes pollutions, la lutte contre la dégradation de l’environnement urbain, la création de réseaux de collecte des déchets ; faire de la prévention contre les différents risques ; enfin anticiper la sortie de crise, par des programmes relais entre post urgence et appui à des programmes structurels ; Enfin, Béatrice Boyer souligne le danger à ne pas faire une distinction claire entre humanitaires et militaires pour garantir la neutralité.

Trois questions à Béatrice Boyer :
- En 2001, au sortir de 25 ans de guerre, Kaboul était une ville rasée sur près de 60% de sa surface, minée en bien des endroits, invivable alors que se pressaient entre ses murs des centaines de milliers de réfugiés rentrés d’Iran ou du Pakistan. Dix ans plus tard, selon vous, quel pourcentage de la ville a été reconstruit et selon quels critères?



Aussi, dix ans après, la ville apparaît comme en plein boom constructif entre de nombreux bâtiments de bureaux en constructions, riches villas flambant neuf en ville et poursuite des extensions urbaines autour de la ville. Le problème reste entier concernant l’assistance des pouvoirs publics pour desservir en réseaux et service de base l’ensemble de la ville, comme reste le problème de la maîtrise de la planification urbaine pour que cette métropole soit viable.
- Trouver à se loger sur Kaboul reste, aujourd’hui encore et pour beaucoup, un énorme problème. Peut-on dire que les centaines d’ONG qui sont venues installer leur quartier général dans la capitale sans hésiter à dépenser des milliers de dollars pour louer des maisons ont une responsabilité dans la hausse des prix des loyers et contribuent à l’éviction d’une partie de la population – la plus pauvre – de l’accès au marché locatif ? Si oui, comment combattre ce qui apparaît comme un effet pervers de l’aide humanitaire ?
Oui bien sûr, l’augmentation des loyers est directement liée à la présence de très nombreuses agences de l’aide internationale ayant besoin de loger leurs personnels et leurs bureaux. Le problème n’est pas spécifique à la situation afghane. On la retrouve sur tous les terrains de crise où les internationaux s’installent. Mais, les populations d’accueil ne sont innocentes de ces conséquences, enfin ceux qui louent leurs maisons à des coûts très élevés. Une partie de la population s’enrichit toujours en période crise et cela permet aussi en partie la relance économique. Le phénomène d’éloignement des populations pauvres des centres ville n’est pas non plus particulier à la crise. Le problème à gérer est plus d’améliorer les zones d’habitation des plus pauvres ou des plus affectés en sécurisant leur droit d’occupation et en apportant un minimum de services urbains. C’est une responsabilité du ressort des autorités urbaines afghanes, mais ce doit être la base de la réflexion pour le montage de programme d’aide sous formes d’appui conseil à planifier, aménager, et surtout coordonner les différentes actions en ville. A ce stade post crise il faut activer toutes les compétences de gestion de ville.
- Quelles pistes, quelles solutions sont mises en place pour trois problèmes concrets que sont l’accès à l’électricité, l’eau, et l’évacuation des ordures (il n’existe pas de système d’égouts à Kaboul) ?
Chaque réseau a sa propre technicité et économie, mais l’harmonisation des réseaux sur un même territoire est indispensable : la répartition, l’interconnexion, la gestion sur le même espace urbain. D’autres facteurs les associent nécessairement dans une réflexion commune, pour être créé en zone urbaine : la présence et la capacité des ressources à proximité (en eau, en électricité, en terrains disponibles), enfin leur répartition est intégralement lié à des échanges de décisions sur un même territoire, ce qui pose la question de la gouvernance urbaine. Ceci dit pour chaque réseau, il y a des analyses et études de faisabilité qui doivent être partagées entre experts, autorités locales et organismes de l’aide.
Pour l’électricité, le problème initial est la source. L’Afghanistan, ne produisant pas d’électricité. D’énormes progrès on été faits par la contractualisation d’achat d’électricité au voisin du nord, au Tadjikistan et avec la création de lignes de pylônes d’approvisionnement jusqu’à Kaboul. La distribution à travers la ville est un énorme travail d’installation de sous stations par quartier et de distribution par rues et maisons. C’est à partir de là que des organismes spécialisés de l’aide internationale pourraient apporter leur concours. A cette occasion, il serait opportun et même urgent que soit réfléchi à travers cette aide le moyen de sensibiliser les afghans à la nécessité de réduction d’utilisation de l’énergie. Inciter à l’isolation des bâtiments est une solution déjà engagé par certaines ONG****.


* Villes Afghanes, Défis urbains, les enjeux d’une reconstruction post-conflit, BOYER Béatrice, Editions Karthala-Groupe URD, coll. Pratiques humanitaires en question, 2010
** Jusqu’à la tuerie récente dans la ville du nord, Mazar-e-Sharif, d’occidentaux travaillant à UNAMA, agence onusienne
*** Et comme nous l’avons constaté à Afghanistan Demain, dans certaines zones, des familles se partagent souvent le coût de location d’un générateur. L’accès à l’eau potable reste également difficile pour une partie de la ville.
**** GERES