Le 11 mai 2011 avait lieu, à l’Assemblée nationale, une conférence organisée par l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques). Une multitude d’intervenants (hommes et femmes politiques de différents pays, politologues, humanitaires, conseillers militaires et stratégiques) se sont succédés autour de différents thèmes liés à la guerre en Afghanistan, afin d’en faire le point et d’en tirer des perspectives.
Afghanistan, 32 ans de guerres
En 1978, les soviétiques envahissent le pays, c’est le début d’une guerre qui va durer jusqu’en 1989. S’ensuivront une série de conflits civils entre différentes factions politiques pour prendre le pouvoir, jusqu’à l’offensive des talibans qui, en 1997, contrôlent presque tout le territoire, à l’exception du nord-est qui reste sous l’emprise de l’Alliance du Nord, dirigée par le commandant Massoud. Après les attentats du 11 septembre 2001 à New York, revendiqués par Al-Qaida, et dont les hommes sont entraînés dans des camps en Afghanistan, les Etats-Unis, avec l’aide de l’OTAN et de l’Alliance du Nord, envahissent le pays et renversent le régime des talibans. Depuis, un conflit très complexe s’est engagé entre, d’une part, les Etats-Unis et l’OTAN (130 000 soldats de 48 pays déployés, dont 4 000 soldats français) et, d’autre part, les talibans, les membres d’Al-Qaida, les afghans opposés à l’intervention étrangère et ceux opposés aux talibans. Avec la mort du chef fondateur d’Al-Qaida, Oussama Ben Laden, les Etats-Unis et leurs alliés ont décidé de se retirer du pays. Un calendrier de départ prévoit le retrait des troupes dès juillet 2011, pour s’achever, normalement, en 2014.
Le contexte actuel
Aujourd’hui, le conflit est très complexe notamment à cause de la multitude des partis et des intérêts. Il se joue dans les limites d’un territoire détruit par trois décennies de conflits. Les infrastructures y sont pratiquement inexistantes (peu d’hôpitaux, de structures administratives, d’accès à l’eau (23% seulement des Afghans ont accès à l’eau potable), d’écoles (45% de la population a moins de 15 ans), où de routes fiables et sécurisées). Les conditions de vie sont misérables (42% des afghans vivent dans l’extrême pauvreté), l’analphabétisme touche 70% de la population, le poids de la religion et des traditions ne favorise pas l’égalité entre les hommes et les femmes (pour lesquelles l’espérance de vie - 42 ans - est la plus basse du monde tandis que la mortalité infantile y est la plus élevée). Le développement économique est donc très difficile dans un pays qui n’a ni les moyens d’investir, ni de se développer, touché par la corruption, et dont la culture massive du pavot se fait au détriment de la culture vivrière.
Les raisons de l’échec de l’aide internationale
Le Général Vincent Desportes, conseiller spécial du Président, fait le constat de l’échec de la stratégie militaire entre 2001 et aujourd’hui. En 2001, celle-ci était minimaliste : il y avait peu de soldats et la mission était ciblée : faire tomber le régime des talibans et vaincre Al-Qaida. Seule la première mission fut réussie. Après la chute du régime, les forces armées continuèrent à traquer Al-Qaida, tandis que les talibans se réorganisaient et que quelques chefs locaux constituaient leurs propres factions armées afin de contester le pouvoir central de Kaboul, incapable de fédérer, autour de la personne d’Hamid Karzaï, des intérêts divergents et une multitude d’ethnies dotées de leurs règles propres. En 2003, la situation continua de se dégrader pour les forces internationales, notamment à cause d’un défaut de sensibilité culturelle, historique et géographique. La population, d’abord favorable à cette intervention, a progressivement changé d’opinion à cause des « bavures » de plus en plus fréquentes liées aux opérations de « maintien de la paix » (depuis 2007, il y a eu une augmentation de 64% du nombre de morts civils afghans).
Le Général Desportes explique en partie ces problèmes stratégiques par le fait que l’armée US est guidée par sa politique intérieure et non par les intérêts de l’Afghanistan et qu’il n’y a pas de réelle défense européenne avec une stratégie propre (celle-ci est sous le contrôle de l’armée US).
Georges Lefeuvre, anthropologue et spécialiste régional Afghanistan - Pakistan, apporte des réponses supplémentaires à l’échec de l’intervention internationale (forces armées, organisations internationales et humanitaires) : d’une part on a voulu appliquer à l’Afghanistan les techniques occidentales de construction d’un Etat sans en comprendre la culture et l’histoire ; d’autre part, les armées, qui luttent contre les talibans et Al-Qaida, ont du mal à les différencier des civils et à identifier clairement leurs adversaires. Ainsi, il a fallu près de 10 ans pour saisir la différence entre les talibans afghans (ou pakistanais) qui prônent un djihad national et Al-Qaida (dont les membres viennent de multiples pays), qui, eux, prônent un djihad international, bien que des relations complexes les unissent (Al-Qaida est présent en Afghanistan depuis 1984). Pour Georges Lefeuvre, la coalition est en train de commettre une nouvelle erreur, celle de croire qu’Al-Qaida n’est plus en Afghanistan mais au Pakistan, alors que selon ce spécialiste, Al-Qaida se renforce actuellement dans le nord du pays et que les talibans pakistanais (Tehrik-e-Taliban Pakistan), mouvance née dans les années 2005-2007, se concentrent, eux, dans le sud du pays.
Pour plus de précision, une petite interview de Georges Lefeuvre "La réconciliation doit se faire avec toutes les composantes de l'Afghanistan", à l'issu de la conférence.
Et l’avenir ?
Serge Michailof, enseignant à Science Politique, consultant international, fait d’abord le constat que le terrain est difficile pour les armées et que les zones de repli des insurgés sont quasiment inatteignables.
Pour lui, en 2001, l’Afghanistan n’était pas une cause perdue. Mais il aurait fallu construire un Etat moderne au lieu de chasser uniquement Al-Qaida, et, pour cela, appliquer trois axes principaux :
1. Rétablir la sécurité et relancer l’économie rurale. En réalité, l’aide a été donné au compte-gouttes (la population rurale qui représente 70% de la population a été la grande oubliée de l’aide) et les pouvoirs politiques et économiques n’ont pas été totalement délégué au gouvernement afghan.
2. Reconstruire un appareil d’Etat moderne, régalien et fonctionnel, en créant un système basé sur la méritocratie contrairement à aujourd’hui où le système (ministères, administrations, police) est basé sur le népotisme et la corruption.
3. L’Etat afghan n’a jamais été historiquement centralisé, il ne fallait donc pas imposer la centralisation mais construire un système décentralisé en interdisant aux chefs de guerre, aux mafieux liés à la drogue et aux factions armées diverses de monopoliser le pouvoir.
Il a aussi manqué une coordination entre les armées et les programmes de reconstruction. Les programmes humanitaires sont très dispersés et fonctionnent au gré des souhaits des bailleurs institutionnels, en dehors de tout pilotage stratégique commun. Depuis 2001, l’argent qui a été versé par l’aide internationale s’est retrouvé en grande partie entre les mains des chefs de guerre, avec lequel ils ont acheté des armes et organisé la corruption. De plus, beaucoup d’actions de développement ont été contre-productives.
Le développement économique et social reste toujours possible si l’on reconstruit un appareil sécuritaire non corrompu et non infiltré par les talibans. Il faut régler les problèmes au niveau politique : corruption, alliance entre les trafiquants de drogue, les chefs de guerre, l’administration et les hommes politiques.
Aujourd’hui, il est cependant difficile pour Serge Michailof d’imaginer un Etat moderne : les probabilités pour que le pays devienne un narco-Etat et reste un foyer de misère et de violence est grand, à moins qu’il ne bascule dans une nouvelle guerre civile, une fois le retrait des troupes internationales achevé.
Gérard Chaliand, géostratège, spécialiste des conflits armés, et Jean Glavany, député et membre de la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée nationale, partagent le même avis sur l’intervention des forces internationales et l’issue de ce conflit : si les forces internationales ont très rapidement chassé les talibans du pouvoir, la situation s’est ensuite vite enlisée du fait de l’asymétrie de la guerre (les uns se battent pour une solde, tandis que les autres se battent pour une idéologie sacrificielle), de la complexité des « ennemis » et d’une mauvaise connaissance de la culture et du pays. Si il existe une solution, elle ne peut être que politique et négociée.
Pour plus de précision, une interview de Gérard Chaliand "La guerre d'Afghanistan n'a pas été menée entre 2001 et 2009", à l'issu de la conférence.
Mohammad Musa Mahmodi, directeur exécutif de la commission afghane indépendante des droits de l’homme (AIHRC), constate qu’aujourd’hui personne (humanitaire, Etats-Unis, OTAN, gouvernement afghan) n’a construit les bases d’un Etat solide et démocratique et que le pays est dans une situation fragile et précaire. Si, en 2001, les Afghans ont eu l’espoir que les forces internationales les aideraient, aujourd’hui ils n’y croient plus et beaucoup demandent leur départ. Mais pour M. Mahmodi la poursuite de la paix et la garantie des droits et des libertés ne pourra pas se faire sans l’aide internationale (même si jusqu’ici elle n’y est pas parvenue). Et, pour parvenir à la paix, il ne rejette pas l’hypothèse d’un pouvoir partagé, sous forme de coalition, entre le président Hamid Karzai et les Talibans.
Karim Pakzad, chercheur associé à l’IRIS, voit l’avenir dans l’émergence d’une opposition non talibane, de plus en plus crédible, dont l’un des leader est le Docteur Abdullah Abdullah, ancien ministre des Affaires Etrangères et candidat à l’élection présidentielle de 2009.
Françoise Hostalier, députée, vice-présidente du groupe d’amitié France-Afghanistan de l’assemblée nationale, observe des progrès depuis 2001 : de plus en plus de voitures, de routes goudronnées, d’électricité, une augmentation de la scolarisation chez les filles, une augmentation des journaux, des journalistes (femmes y compris) et des avancées dans l’agriculture.
Pour S.E. Rauf Engin Soysal, envoyé spécial des Etats-Unis pour l’assistance au Pakistan, les clés de la réussite sont : gagner la confiance des Afghans, comprendre leur tradition et leur culture et qu’ils s’approprient leur Etat et leur police.
Pour conclure la conférence, Eva Joly, Députée européenne Europe Ecologie – Les Verts, Présidente de la Commission du Développement du Parlement européen, met en avant les ressources naturelles en métaux (fer, cuivre, or, étain) qui constituent un potentiel de développement et de croissance et peuvent apporter des recettes significatives, si les ressources sont bien gérées et que l’argent et les avantages reviennent bien à l’Etat et aux Afghans et non uniquement aux compagnies étrangères qui les exploitent.
Comme on le constate, cette journée aura tiré les limites de l’intervention internationale de 2001 et aura posé des axes d’amélioration qui nécessiteraient une coordination et un partage de perspectives dont les bases sont loin d’être établies.
Il est toujours intéressant d’avoir ainsi une vision « macro » et géostratégique de l’histoire et de l’avenir d’un pays. A notre niveau, celui de l’humanitaire, nous avons une vision « micro », à l’échelle des populations auprès de qui nous travaillons. Nous ne pouvons perdre de vue que les décisions stratégiques et politiques prises pour l’Afghanistan ont des répercussions sur le quotidien de ceux qui y vivent et que, comme toujours et partout, les enfants sont les premiers à en payer le prix. Le pari d’Afghanistan Demain reste le même, malgré le contexte difficile : croire que l’accès à l’éducation du plus grand nombre donnera aux citoyens d’Afghanistan la possibilité d’opérer à leurs propres choix. Ce sont les enfants d’aujourd’hui qui construiront l’Afghanistan de demain.
Afghanistan, 32 ans de guerres
En 1978, les soviétiques envahissent le pays, c’est le début d’une guerre qui va durer jusqu’en 1989. S’ensuivront une série de conflits civils entre différentes factions politiques pour prendre le pouvoir, jusqu’à l’offensive des talibans qui, en 1997, contrôlent presque tout le territoire, à l’exception du nord-est qui reste sous l’emprise de l’Alliance du Nord, dirigée par le commandant Massoud. Après les attentats du 11 septembre 2001 à New York, revendiqués par Al-Qaida, et dont les hommes sont entraînés dans des camps en Afghanistan, les Etats-Unis, avec l’aide de l’OTAN et de l’Alliance du Nord, envahissent le pays et renversent le régime des talibans. Depuis, un conflit très complexe s’est engagé entre, d’une part, les Etats-Unis et l’OTAN (130 000 soldats de 48 pays déployés, dont 4 000 soldats français) et, d’autre part, les talibans, les membres d’Al-Qaida, les afghans opposés à l’intervention étrangère et ceux opposés aux talibans. Avec la mort du chef fondateur d’Al-Qaida, Oussama Ben Laden, les Etats-Unis et leurs alliés ont décidé de se retirer du pays. Un calendrier de départ prévoit le retrait des troupes dès juillet 2011, pour s’achever, normalement, en 2014.
Le contexte actuel
Aujourd’hui, le conflit est très complexe notamment à cause de la multitude des partis et des intérêts. Il se joue dans les limites d’un territoire détruit par trois décennies de conflits. Les infrastructures y sont pratiquement inexistantes (peu d’hôpitaux, de structures administratives, d’accès à l’eau (23% seulement des Afghans ont accès à l’eau potable), d’écoles (45% de la population a moins de 15 ans), où de routes fiables et sécurisées). Les conditions de vie sont misérables (42% des afghans vivent dans l’extrême pauvreté), l’analphabétisme touche 70% de la population, le poids de la religion et des traditions ne favorise pas l’égalité entre les hommes et les femmes (pour lesquelles l’espérance de vie - 42 ans - est la plus basse du monde tandis que la mortalité infantile y est la plus élevée). Le développement économique est donc très difficile dans un pays qui n’a ni les moyens d’investir, ni de se développer, touché par la corruption, et dont la culture massive du pavot se fait au détriment de la culture vivrière.
Les raisons de l’échec de l’aide internationale
Le Général Vincent Desportes, conseiller spécial du Président, fait le constat de l’échec de la stratégie militaire entre 2001 et aujourd’hui. En 2001, celle-ci était minimaliste : il y avait peu de soldats et la mission était ciblée : faire tomber le régime des talibans et vaincre Al-Qaida. Seule la première mission fut réussie. Après la chute du régime, les forces armées continuèrent à traquer Al-Qaida, tandis que les talibans se réorganisaient et que quelques chefs locaux constituaient leurs propres factions armées afin de contester le pouvoir central de Kaboul, incapable de fédérer, autour de la personne d’Hamid Karzaï, des intérêts divergents et une multitude d’ethnies dotées de leurs règles propres. En 2003, la situation continua de se dégrader pour les forces internationales, notamment à cause d’un défaut de sensibilité culturelle, historique et géographique. La population, d’abord favorable à cette intervention, a progressivement changé d’opinion à cause des « bavures » de plus en plus fréquentes liées aux opérations de « maintien de la paix » (depuis 2007, il y a eu une augmentation de 64% du nombre de morts civils afghans).
Le Général Desportes explique en partie ces problèmes stratégiques par le fait que l’armée US est guidée par sa politique intérieure et non par les intérêts de l’Afghanistan et qu’il n’y a pas de réelle défense européenne avec une stratégie propre (celle-ci est sous le contrôle de l’armée US).
Georges Lefeuvre, anthropologue et spécialiste régional Afghanistan - Pakistan, apporte des réponses supplémentaires à l’échec de l’intervention internationale (forces armées, organisations internationales et humanitaires) : d’une part on a voulu appliquer à l’Afghanistan les techniques occidentales de construction d’un Etat sans en comprendre la culture et l’histoire ; d’autre part, les armées, qui luttent contre les talibans et Al-Qaida, ont du mal à les différencier des civils et à identifier clairement leurs adversaires. Ainsi, il a fallu près de 10 ans pour saisir la différence entre les talibans afghans (ou pakistanais) qui prônent un djihad national et Al-Qaida (dont les membres viennent de multiples pays), qui, eux, prônent un djihad international, bien que des relations complexes les unissent (Al-Qaida est présent en Afghanistan depuis 1984). Pour Georges Lefeuvre, la coalition est en train de commettre une nouvelle erreur, celle de croire qu’Al-Qaida n’est plus en Afghanistan mais au Pakistan, alors que selon ce spécialiste, Al-Qaida se renforce actuellement dans le nord du pays et que les talibans pakistanais (Tehrik-e-Taliban Pakistan), mouvance née dans les années 2005-2007, se concentrent, eux, dans le sud du pays.
Pour plus de précision, une petite interview de Georges Lefeuvre "La réconciliation doit se faire avec toutes les composantes de l'Afghanistan", à l'issu de la conférence.
Et l’avenir ?
Serge Michailof, enseignant à Science Politique, consultant international, fait d’abord le constat que le terrain est difficile pour les armées et que les zones de repli des insurgés sont quasiment inatteignables.
Pour lui, en 2001, l’Afghanistan n’était pas une cause perdue. Mais il aurait fallu construire un Etat moderne au lieu de chasser uniquement Al-Qaida, et, pour cela, appliquer trois axes principaux :
1. Rétablir la sécurité et relancer l’économie rurale. En réalité, l’aide a été donné au compte-gouttes (la population rurale qui représente 70% de la population a été la grande oubliée de l’aide) et les pouvoirs politiques et économiques n’ont pas été totalement délégué au gouvernement afghan.
2. Reconstruire un appareil d’Etat moderne, régalien et fonctionnel, en créant un système basé sur la méritocratie contrairement à aujourd’hui où le système (ministères, administrations, police) est basé sur le népotisme et la corruption.
3. L’Etat afghan n’a jamais été historiquement centralisé, il ne fallait donc pas imposer la centralisation mais construire un système décentralisé en interdisant aux chefs de guerre, aux mafieux liés à la drogue et aux factions armées diverses de monopoliser le pouvoir.
Il a aussi manqué une coordination entre les armées et les programmes de reconstruction. Les programmes humanitaires sont très dispersés et fonctionnent au gré des souhaits des bailleurs institutionnels, en dehors de tout pilotage stratégique commun. Depuis 2001, l’argent qui a été versé par l’aide internationale s’est retrouvé en grande partie entre les mains des chefs de guerre, avec lequel ils ont acheté des armes et organisé la corruption. De plus, beaucoup d’actions de développement ont été contre-productives.
Le développement économique et social reste toujours possible si l’on reconstruit un appareil sécuritaire non corrompu et non infiltré par les talibans. Il faut régler les problèmes au niveau politique : corruption, alliance entre les trafiquants de drogue, les chefs de guerre, l’administration et les hommes politiques.
Aujourd’hui, il est cependant difficile pour Serge Michailof d’imaginer un Etat moderne : les probabilités pour que le pays devienne un narco-Etat et reste un foyer de misère et de violence est grand, à moins qu’il ne bascule dans une nouvelle guerre civile, une fois le retrait des troupes internationales achevé.
Gérard Chaliand, géostratège, spécialiste des conflits armés, et Jean Glavany, député et membre de la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée nationale, partagent le même avis sur l’intervention des forces internationales et l’issue de ce conflit : si les forces internationales ont très rapidement chassé les talibans du pouvoir, la situation s’est ensuite vite enlisée du fait de l’asymétrie de la guerre (les uns se battent pour une solde, tandis que les autres se battent pour une idéologie sacrificielle), de la complexité des « ennemis » et d’une mauvaise connaissance de la culture et du pays. Si il existe une solution, elle ne peut être que politique et négociée.
Pour plus de précision, une interview de Gérard Chaliand "La guerre d'Afghanistan n'a pas été menée entre 2001 et 2009", à l'issu de la conférence.
Mohammad Musa Mahmodi, directeur exécutif de la commission afghane indépendante des droits de l’homme (AIHRC), constate qu’aujourd’hui personne (humanitaire, Etats-Unis, OTAN, gouvernement afghan) n’a construit les bases d’un Etat solide et démocratique et que le pays est dans une situation fragile et précaire. Si, en 2001, les Afghans ont eu l’espoir que les forces internationales les aideraient, aujourd’hui ils n’y croient plus et beaucoup demandent leur départ. Mais pour M. Mahmodi la poursuite de la paix et la garantie des droits et des libertés ne pourra pas se faire sans l’aide internationale (même si jusqu’ici elle n’y est pas parvenue). Et, pour parvenir à la paix, il ne rejette pas l’hypothèse d’un pouvoir partagé, sous forme de coalition, entre le président Hamid Karzai et les Talibans.
Karim Pakzad, chercheur associé à l’IRIS, voit l’avenir dans l’émergence d’une opposition non talibane, de plus en plus crédible, dont l’un des leader est le Docteur Abdullah Abdullah, ancien ministre des Affaires Etrangères et candidat à l’élection présidentielle de 2009.
Françoise Hostalier, députée, vice-présidente du groupe d’amitié France-Afghanistan de l’assemblée nationale, observe des progrès depuis 2001 : de plus en plus de voitures, de routes goudronnées, d’électricité, une augmentation de la scolarisation chez les filles, une augmentation des journaux, des journalistes (femmes y compris) et des avancées dans l’agriculture.
Pour S.E. Rauf Engin Soysal, envoyé spécial des Etats-Unis pour l’assistance au Pakistan, les clés de la réussite sont : gagner la confiance des Afghans, comprendre leur tradition et leur culture et qu’ils s’approprient leur Etat et leur police.
Pour conclure la conférence, Eva Joly, Députée européenne Europe Ecologie – Les Verts, Présidente de la Commission du Développement du Parlement européen, met en avant les ressources naturelles en métaux (fer, cuivre, or, étain) qui constituent un potentiel de développement et de croissance et peuvent apporter des recettes significatives, si les ressources sont bien gérées et que l’argent et les avantages reviennent bien à l’Etat et aux Afghans et non uniquement aux compagnies étrangères qui les exploitent.
Comme on le constate, cette journée aura tiré les limites de l’intervention internationale de 2001 et aura posé des axes d’amélioration qui nécessiteraient une coordination et un partage de perspectives dont les bases sont loin d’être établies.
Il est toujours intéressant d’avoir ainsi une vision « macro » et géostratégique de l’histoire et de l’avenir d’un pays. A notre niveau, celui de l’humanitaire, nous avons une vision « micro », à l’échelle des populations auprès de qui nous travaillons. Nous ne pouvons perdre de vue que les décisions stratégiques et politiques prises pour l’Afghanistan ont des répercussions sur le quotidien de ceux qui y vivent et que, comme toujours et partout, les enfants sont les premiers à en payer le prix. Le pari d’Afghanistan Demain reste le même, malgré le contexte difficile : croire que l’accès à l’éducation du plus grand nombre donnera aux citoyens d’Afghanistan la possibilité d’opérer à leurs propres choix. Ce sont les enfants d’aujourd’hui qui construiront l’Afghanistan de demain.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire