Le 15 février marquait les 25 ans du retrait soviétique
d'Afghanistan. Cet anniversaire a été l'objet de commémoration
mais aussi d'une réflexion sur l'impact de l'intervention russe,
d'une comparaison avec la situation actuelle et l'occasion, donc, de
dresser un bilan et d'évoquer les perspectives pour le pays.
- Commémoration du retrait soviétique d'Afghanistan le 15 février 1989.
Cette
semaine Russes et Afghans ont commémoré les 25 ans du départ des troupes soviétiques d'Afghanistan, le 15 février 1989.
L'anniversaire de la fin de ce conflit, qui a fait au moins 14 000
morts, 49 983 blessés dont 7 000 en ont gardé des séquelles coté
soviétique (ces chiffres sont encore aujourd'hui disputés,
le Kremlin les aurait largement sous-évalués) et des centaines de
milliers de morts côté afghan (le nombre exact n'est aujourd'hui pas connu), a été
célébré de manière assez discrète.
En
Afghanistan, cet anniversaire a pourtant été commémoré. Al-Jazeera a notamment proposé de revenir sur le
soulèvement d'Hérat, en mars 1979, qui fut l'un des premiers mouvements
de soulèvement contre le régime communiste. Les Taliban, quant à
eux, ont profité de l'occasion pour menacer les Forces de la
Coalition et exiger une nouvelle fois leur départ complet.
En
Russie, ce conflit, encore particulièrement présent dans les esprits, a été commémoré à Saint Petersbourg par la reconstitution d'une bataille de l'Opération
Mistral les 7 et 8 janvier 1988. Cette bataille est d'ailleurs à
l'origine du film de Fyodor Bondarchuk, « Le 9ème Escadron ».
Mais
alors que les images
des troupes soviétiques traversant le pont de l'Amitié vers
l'Ouzbékistan abondent de nouveau dans les médias, quelle mémoire
est aujourd'hui celle du conflit ?
Convoi soviétique quittant l'Afghanistan le 15 février 1989 |
- Quelle mémoire aujourd'hui pour le conflit soviéto-afghan ?
Dès le
mois de décembre 1989, le parlement soviétique a passé une
résolution déclarant que l'engagement de l'URSS en Afghanistan
était une erreur. Cette résolution illustre ainsi toute l’ambiguïté
qui existe autour du conflit et qui a pu être à l'origine d'un
certain malaise chez les vétérans. Certains groupes de vétérans réclament d'ailleurs que le
président Poutine reconsidère cette évaluation négative. Cette
semaine a donc parfaitement illustré l’ambiguïté qui entoure cet épisode, entre hommage aux vétérans et réhabilitation de la mémoire
du conflit ou commémoration de l'ampleur des victimes et
dénonciation de l'intervention.
Ainsi, à
Sotchi, VladimirPoutine a rencontré des vétérans et leur a
dit être conscient de l'impact de la guerre « non seulement
sur leur vie personnelle mais aussi sur la vie de notre peuple tout
entier » (selon une retranscription officielle du Kremlin), ce
qui a aussi été l'occasion d'un bref moment de propagande sur
l'effet positif des jeux olympiques sur les infrastructures de la
ville de Sotchi. Le ministre de la Défense russe, Sergei Shoigu, a
lui aussi salué les vétérans, qualifiés de « véritables patriotes ». L'Ukraine et la Moldavie ont décrété que 2014 serait "l'année des vétérans de la guerre d'Afghanistan".
Vladimir Poutine et les vétérans de la guerre d'Afghanstan à Sotchi | Moscow Times |
Pour BorisPavlichtev, dans la Voix de Russie, cet
anniversaire est l'occasion de parler d'une empreinte « positive »
de la Russie en Afghanistan puisque, selon lui, la présence
soviétique a permis la construction de nombreuses infrastructures.
Toujours dans le même article, il va jusqu'à écrire que les
« Afghans reconnaissants avaient beaucoup de respect pour les
enseignants soviétiques, les ingénieurs, les médecins, les
géologues ». Une position qui peut sembler étonnante si l'on
considère le discours négatif autour de l'intervention (plutôt
nommée invasion) entre 1979 et 1989 et les documents de l'époque, qui confirment un rejet général, de la
population russe comme afghane, de la guerre.
C'est donc la mémoire difficile
d'un conflit, qui a eu une portée énorme et de long terme sur
l'Afghanistan comme sur l'URSS (et la Russie). À ce propos, les travaux de Rafael Reuveny et Aseem Prakash montraient, en 1999, le
rôle de la guerre d'Afghanistan dans l'effondrement de l'URSS.
Aujourd'hui, d'anciens participants au conflit n'hésite plus à publier le récit de
leurs expériences, ce qui a longtemps été difficile, et des livres
comme « Afgantsy, les Russes en Afghanistan » de Robric Braithwaite, permettent davantage de faire le point sur le conflit
et son impact.
Si ce travail de mémoire est
particulièrement important, il est également compliqué par les
tentations de comparaison qui l'accompagne.
- La tentation de la comparaison
La première comparaison qui vient à l'esprit est celle de la guerre du Vietnam, sujet particulièrement
sensible. Le NewYork Times, le 16 février 1989, écrivait d'ailleurs que les
Soviétiques ne voulaient pas quitter l'Afghanistan en désordre
« comme les Américains se hissant dans leurs hélicoptères du
toit de leur ambassade, alors que Saïgon s'effondrait autour d'eux ».
En effet, le départ des dernières troupes soviétiques, menées par le
général Boris Gromov, avait été minutieusement orchestré avec une
foule massée à la frontière venue l'acclamer, et son fils
l'accueillant avec un bouquet d’œillets rouges.
Le général Gromov et son fils |
Aujourd'hui la comparaison est bien
plus tentante encore avec l'engagement actuel des forces internationales et leur retrait prévu cette année. Cela est d'autant plus facile qu'un nouveau sondage Gallup montre que la moitié de la population américaine pense
que l'entrée en guerre des Etats-Unis en 2001 était une erreur.
- Tirer les leçons du passé ?
La
question, largement évoquée par la presse, est le devenir du pays
après le retrait des troupes, d'autant qu'il semble désormais
clair pour plusieurs spécialistes que Hamed Karzaï ne signera pas le
traité bilatéral de sécurité, reportant donc la question à après les élections. Toutefois, le
président afghan a affirmé ne pas être opposé à une présence limitée des forces internationales dans le pays. À
l'inverse, des critiques n'hésitent pas à mettre en avant la nécessité d'un
retrait total.
Cependant,
une crainte souvent exprimée dans l'éventualité d'une option zéro, est le retour à la guerre civile et au chaos, comme dans la période 1989 - 1996. Le discours, à ce propos, se veut pourtant rassurant. Le général Sher Mohammad Karimi a ainsi affirmé, lundi, que les
force de l'Armée Nationale Afghane (ANA) sont parfaitement capables
d'assurer la sécurité du pays et Jim Michaels écrit également, cette semaine, sur la surprenant
efficacité de l'ANA. Ce discours optimiste est remis en cause par
l’évaluation de chercheurs comme Antionio Giustozzi et Cornelius
Friesendorf qui ont pointé du doigt les faiblesses de l'ANA, lors d'un séminaire en ligne proposé mercredi dernier par le Center for Security
Governance, un think-tank canadien.
Enfin, le
dernier point de comparaison entre les perspectives actuelles pour
l'Afghanistan et la situation lors du retrait soviétique est
l'implication régionale. Elle constitue une différence majeure, puisque les voisins du pays sont aujourd'hui largement concernés et
impliqués. L'Inde, par exemple, rappelle
régulièrement son engagement dans la reconstruction, la
stabilisation et le développement du pays. L'Iran,
cette semaine, a encore appelé à une coopération accrue
entre Téhéran et Kaboul.
- Quel engagement pour la Russie aujourd'hui ?
La Russie
n'est bien sûr pas absente de cet équilibre régional. La stabilité
de l'Afghanistan a sur elle un impact important, l'inquiétude de
Moscou portant sur le fondamentalisme islamiste et la culture du
pavot. Actuellement, un tiers de l'héroïne produite en Afghanistan entre en Russie, comme destination finale ou point de transit. Victor Ivanov, le directeur des Services Fédéraux Russes de Contrôle
des Narcotiques, a déclaré à ce propos que « le trafic de
drogue afghan est comme la vague d'un tsunami se brisant constamment
sur la Russie – nous nous y noyons ».
Même si
la Russie n'a pas participé à la coalition des forces
internationales, elle reste active
sur place, notamment en tant que fournisseur d'armes et de matériel militaire pour Kaboul. La politique russe
est donc complexe et multi-vectorielle. Elle oscille entre rhétorique hostile face à la présence occidentale
en Asie Centrale et pragmatisme, qui la pousse plutôt à soutenir
cette présence afin de contenir les menaces suscitées.
- Quel héritage pour l'intervention de l'OTAN : le droit des femmes
L'actualité
de la semaine s'est aussi focalisée sur l'héritage des
deux interventions internationales en Afghanistan en 1989 et 2001, et sur la question du droit des
femmes. HamidKarzaï a annoncé cette semaine le renvoi, auprès du Ministère
de la Justice, d'une loi empêchant le témoignage des familles des victimes de violence
domestique, adoptée par les deux chambres du Parlement
et en attente d'être promulguée. Cette loi, largement décriée par la communauté internationale, n'entrera donc pas en vigueur
et son texte sera réexaminé.
"La violence contre les femmes est une insulte à la dignité humaine" peut-on lire sur la banderole lors d'une manifestation la semaine dernière | crédit Wazhma Samandary |
L'Afghanistan Analyst Network parle, à ce sujet, « d'une guerre sans perspective de fin : les réactions
violentes à l'égard des droits des femmes afghanes ».
L'article revient en détail sur la législation en vigueur mais
aussi sur les témoignages et rapports attestant d'une détérioration de
la condition féminine dans le pays. Pourtant, le Ministère des Affaires Féminines a annoncé la rédaction d'un
projet de loi, qui sera dévoilé lors de la Journée Mondiale de la
Femme, dont le but est de renforcer les droits et l'indépendance
économiques des femmes dans le pays.
La situation est donc contrastée et hétérogène.
Il n'existe pas un seul mouvement allant vers le progrès ou, au
contraire, vers un retour en arrière, mais plutôt, une multitude de
courants qui s'affrontent au sein d'une société aux dynamiques
complexes. Le projet de webdocumentaire proposé par Delphine Renou et Rémy De
Vlieger peut permettre de mieux appréhender cette question, grâce aux témoignages de celles qui luttent pour leur émancipation et rappellent qu'elles
sont prises en tenaille entre tradition et modernité.
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