En visite à Londres, Farooq Wardak, ministre de l'Éducation afghan, a affirmé l'attachement du gouvernement à la défense au droit à l'éducation pour tous les enfants afghans et s'est montré confiant pour l'avenir des écoles dans l'année de bouleversement politique qui s'annonce. Par ailleurs, de nouvelles tensions sont apparues cette semaine entre Washington et Karzaï, alors que ce dernier exige la mise en place de véritables négociations de paix avec les Taliban. Quelle place, donc, pour les Taliban après 2014? Malgré ces incertitudes politiques, l'Afghanistan a lancé son premier satellite commercial pour développer plus avant son accès aux nouvelles technologies et à l'information.
Les progrès du droit à l'éducation en Afghanistan -
Le World Education Forum, qui s'est tenu cette semaine à Londres,
a été l'occasion pour le ministre de l'Éducation afghan, Farooq Wardak, de rappeler les progrès faits par son
pays en matière d'accès à l'éducation. Il souligne que
le nombre d'enfants scolarisés est passé de 900 000 en 2001 à 5,8
millions aujourd'hui en école primaire, dont 2,2 millions de filles. Malgré les
problèmes, mis en avant par un rapport des Nations Unies,
M. Wardak parle d'une « révolution »
au sein de la société afghane, pour la défense du droit à
l'éducation. Ainsi, selon lui, même dans les communautés rurales,
les élites locales et les parents exigent l'accès à l'école pour
leurs enfants. Ce soutien expliquerait la diminution de la menace talibane sur les écoles.
Selon un rapport
de l'Afghanistan Analysts Network, le ministère de l'Éducation est
parvenu, depuis 2010, à la signature d'accords avec des groupes
locaux de Taliban pour la réouverture de certaines écoles, même si cette
stratégie connaît des limites. Ce même rapport évoque aussi un
changement d'attitude des insurgés vis-à-vis de l'éducation. Ainsi, Mullah
Wakil Ahmad Muttawakil, ministre des Affaire Étrangères du régime
Taliban, a fondé, avec Mullah Abdul Salam Zaeef,
l'ancien ambassadeur au Pakistan de l'émirat d'Afghanistan, sa propre école à Kaboul qui accueille garçons et filles dans ce qui est présenté comme « un environnement
islamique », comprendre une très stricte séparation des
genres, même chez les enseignants.
Le ministre Farooq Wardak au World Education Forum | ©BBC news |
Malgré les attaques sur les personnels enseignants ou le problème
de l'absentéisme, particulièrement chez les filles, Farooq Wardak ne se dit pas du tout
inquiet sur l'avenir de l'éducation en dans son pays. reste la question des "écoles fantômes", ces établissements officiellement ouverts, où des enfants sont enregistrés, mais dont les enseignants, pourtant payés, sont absents. Ce problème est très répandu dans la région et
constitue un défi majeur pour l'éducation au Pakistan.
Au World Education Forum, le ministre a réaffirmé l'objectif
d'accueillir tous les enfants à l'école primaire en 2020. Il a, par
la même occasion, rappelé le rôle vital de l'éducation pour
assurer la stabilité politique et économique du pays.
La difficile alphabétisation des adultes -
Malgré les efforts de scolarisation des enfants,
l'alphabétisation des adultes reste un défi majeur pour ce pays qui sort de décennies de guerre et où toute une génération a eu peu
ou pas d'accès à l'école. Ainsi, force est de constater la persistance de illettrisme chez les forces de sécurité
afghanes. Malgré un programme américain de 200 millions de dollars
pour enseigner la lecture et le calcul aux recrues de la
police et de l'armée, la moitié de ces hommes reste incapable de lire
ou d'écrire, selon le rapport du Special Inspector General for
Afghanistan Reconstruction (SIGAR) publié cette semaine.
Rapport du SIGAR: quel emploi pour l'aide internationale en Afghanistan? -
Ce même rapport du SIGAR affirme qu'aucun des 16
ministères afghans qui reçoit des aides américaines n'est capable d'en
garantir la bonne utilisation. Un exemple donné est celui des 236,5 millions de dollars destinés au Ministère de la Santé,
pour lesquels le risque de détournement augmente en raison du
paiement en espèce des salaires. Le rapport du SIGAR a suscité de
nombreuses critiques au sein d'U.S.A.I.D et des officiels
en charge du dossier afghan. USAID, habitué à ces conclusions négatives,
a indiqué qu'il y avait « beaucoup de fumé sans feu »
dans ce rapport. Donald L. Sampler Jr, administrateur assistant pour le
Pakistan et l'Afghanistan à USAID, a écrit, dans une lettre de
réponse au SIGAR : « comme cet audit n'examine pas
l'implémentation des programmes directs d'assistance d'USAID, nous
ne croyons pas que ce rapport ait les bases pour évaluer si les
vulnérabilités identifiées ont été traitées avant que les fonds
n'aient été débloqués ». De même, de nombreux officiels
américains en charge du dossier afghan estiment que leur travail est
sapé par un tel rapport.
Des tensions toujours plus fortes avec Washington -
Ces accusations de corruption du gouvernement afghan
risquent d'aggraver un peu plus les tensions entre Washington et
Hamed Karzaï, qui a déclaré, cette semaine, qu'aucune signature de l'accord bilatéral de sécurité
ne pouvait être envisagée sans la mise en place préalable, par les
États-Unis et le Pakistan, de véritables négociations de paix avec
les Taliban. Ce commentaire de Karzaï a fait suite à la vive critique émise par les États-Unis, suite à la libération prochaine, du centre de détention
de Bagram passé sous contrôle afghan, de 37 prisonniers que l'OTAN
présente comme « de dangereux insurgés responsables de la morts d'Afghans et d'Américains ». Karzaï affirme, quant à
lui, sa volonté de fermer la prison de Bagram et critique une tentative
d'ingérence de la part de Washington. Dans ce contexte, le pourtant très mesuré secrétaire-général
de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen, a clairement averti d'un départ
complet des forces internationales si le président Karzaï
persistait dans son refus de signer l'accord bilatéral de sécurité,
question qui devient donc de plus en plus complexe.
Quelle possibilité pour des négociations de paix avec les Taliban? -
Mais qu'en est-il de cette dernière exigence de Karzaï, la mise en
place de négociations de paix avec les Taliban ? Borhan
Osman revient sur l'échec des
efforts précédents, et notamment sur celui du Qatar
l'été dernier, et met en avant les
mauvaises stratégies impulsées. Il invite à
reconsidérer le rôle du Pakistan dans ces négociations. Islamabad,
selon lui, ne contrôle pas les Taliban et ne peut donc pas
les obliger à s'asseoir à la table des négociations. Le Pakistan
n'est donc pas la seule clef pour la mise en place d'un processus de
paix même si le chercheur affirme qu'une action collective, pour le
moment inexistante, de l'Afghanistan, du Pakistan et des États-Unis
est nécessaire pour les faire aboutir.
Déclaration pakistanaise de soutien au processus de paix afghan -
Sartaj Aziz | Reuters |
La
visite de Sartaj Aziz, le Conseiller sur la
Sécurité Nationale pakistanais, à Washington, a été l'occasion
pour les deux pays de réaffirmer leur engagement à soutenir le
développement et la sécurité dans la région, à coopérer en
matière de contre-terrorisme, à renforcer les liens entre les deux
capitales et à soutenir un processus de paix mené par les Afghans.
Lors de ses rencontres avec Chuck Hagel, le ministre de la Défense
américain, et Susan Rice, son homologue américaine, Sartaj Aziz a
affirmé l'importance de faire
avancer les négociations de paix. Il a
également déclaré :
« mon propre sentiment est qu'après les élections, les
Taliban parleront probablement davantage au nouveau gouvernement...
qu'au gouvernement actuel ». Cette position est dans la
continuitéé de l'approche choisie par les Pakistanais pour lutter
contre leur propre insurrection, dont le Terhik-e-Taliban Pakistan
(TTP) est le groupe le plus important. Nawaz
Sharif, le premier ministre pakistanais, a
ainsi affirmé que, malgré un mois de janvier particulièrement
meurtrier pour la paix, il faisait le choix de la négociation plutôt
que de la confrontation.
Les Taliban peuvent-ils revenir au pouvoir après 2014 ? -
Que l'une ou l'autre des stratégies soit retenue, les
Taliban peuvent-ils revenir au pouvoir en Afghanistan ?
Zabiullah Mujahed, un de leur porte-parole, affirmait, lors d'une interview
téléphonique à la mi-janvier avec John Simpson, correspondant de
la BBC, que « nous sommes sûrs qu'elles [les forces de l'OTAN]
seront vaincues ». Cependant, selon le même correspondant de la
BBC, qui propose cette semaine un reportage sur cette question, un retour au pouvoir des
Taliban comme entre 1996 et 2001, est peu probable. Il s'appuie sur des interviews de citoyens dans la rue, l'université ou encore
avec le commandant des forces spéciales de la police. Il met
également en avant les progrès fait par le pays depuis 2001 et la
volonté de beaucoup d'Afghans de ne pas retourner en arrière.
De même, Bayram Balci remet en cause l'idée d'une montée de la menace islamiste en Asie Centrale après 2014, et dénonce comme un mythe l'idée débordement de l'islam radical en provenance de l'Afghanistan vers les républiques centre-asiatiques, suite à un éventuel départ des troupes occidentales.
De même, Bayram Balci remet en cause l'idée d'une montée de la menace islamiste en Asie Centrale après 2014, et dénonce comme un mythe l'idée débordement de l'islam radical en provenance de l'Afghanistan vers les républiques centre-asiatiques, suite à un éventuel départ des troupes occidentales.
Les craintes liées aux prochaines élections -
Une question en suspend est celle d'un retour souterrain, grâce à
une alliance avec le nouveau gouvernement après les élections.
Celles-ci sont l'objet de nombreuses interrogations.
Tout d'abord, la fraude est un enjeu majeur dans des élections où le vote s'achète, comme l'explique Mariam Abou Zahab. Les difficultés liées à ces élections sont le
résultat de faiblesses structurelles du système politique, doublées d'une crise de gouvernance et politique, selon Vanda Felbab-Brown. Le problème reste aussi celui du calendrier, face à l'incertitude quant au degré de retrait des troupes internationales.
Obama, le discours sur l'état de l'Union: les États-Unis resteront en Afghanistan -
À ce sujet, Obama a
indiqué, lors du discours sur l'état de l'Union (State of the Union Speech), que les
États-Unis maintiendraient un contingent restreint en Afghanistan pour deux missions
précisément définies : la formation des forces de sécurité
afghane et les opérations de contre-terrorisme. L'accord bilatéral
de sécurité est requis pour la prise en charge de ces deux
missions, et même l'utilisation des drones dans les cadres de la mission de contre-terrorisme est
remis en cause par le refus de Karzaï.
Lancement du premier satellite commercial afghan -
Malgré les incertitudes qui entourent son avenir politique, l'Afghanistan a
lancé son premier satellite de communication. Le pays fait donc le
choix de développer ses propres capacités plutôt que de louer les services des
opérateurs conventionnels. Cela devrait améliorer la
couverture en téléphonie mobile du pays mais également la
réception des médias.
Le journalisme au service du progrès -
La
multiplication des journaux, radio ou télévisions est d'ailleurs l'un
des changements observés depuis 2001. Ce développement est dû à des
grands noms du journalisme afghan, comme Mohammad Qasim Akhgar, disparu cette semaine,
auquel Reporter sans Frontières rend hommage. Il a notamment fondé
le journal 8 Sobh qui a diffusé, en partenariat avec le Huffington Post, la campagne « Unveiling Afghanistan : The Unheard Voices of Progress » qui
permet à cinquante personnalités afghanes, en cinquante jours, de
s'exprimer sur les questions de société et d'avenir. Cette semaine, Humaira Qaderi, écrivain et activiste,
s'exprime sur son expérience et son combat continu pour le droit des
femmes.