29.1.14

L'Afghanistan, un pays où tout est possible

Rencontre avec Françoise Hostalier

Malgré son emploi du temps particulièrement chargé, Françoise Hostalier a pris un moment pour nous rencontrer afin de partager sa passion pour l'Afghanistan et son optimisme sur la situation du pays et son avenir.
Françoise Hostalier devant la citadelle d'Hérat
© Françoise Hostalier
Deux fois députée du Nord, mais surtout engagée pour les droits de l'homme et l’émancipation des femmes, passionnée par l'Afghanistan, elle préside la fédération française de l'association Mères pour la Paix, Action Droits de l'Homme et le Club France-Afghanistan, dont elle est à l'origine.
Elle se souvient précisément du jour où elle découvre l'Afghanistan : le 23 septembre 1997 à Alger. Venue soutenir les femmes algériennes dans leur combat contre les terroristes des GIA, elle est à leur côté lors de l’annonce du massacre de Bentalha. Devant tant d’horreurs, elle est interpellée par des femmes, revenues des lieux du massacre, par ces mots qui sont encore ancrés en elle : « Vous, les Français, vous ne voyez rien, vous ne comprenez rien. Vous ne vous rendez pas compte que, tout ce qui nous arrive, vient d'Afghanistan. Nous, les femmes algériennes, sommes la digue qui vous protège ». De là, Françoise Hostalier veut en savoir plus sur l'Afghanistan et le régime des Taliban. L'engagement est ensuite rapide, notamment aux cotés de Shoukria Haidar (militante pour le droit des femmes afghanes et fondatrice de l'association Negar), avec notamment la campagne menée par le magasine Elle, « Les Femmes ont disparu » ou la coopération avec Alain Madelin, député européen, partisan de Massoud.
 Club France-Afghanistan
L'intérêt pour la condition des femmes et pour la situation politique du pays ne la quitte plus. En 2011, grâce à ses connaissances et ses contacts sur le terrain, elle est nommée parlementaire en mission en Afghanistan par le Président de la République. Les conclusions de sa mission serviront alors de point d'appui pour le traité d'amitié et de coopération bilatérale entre la France et l'Afghanistan signé le 27 janvier 2012 et ratifié en juillet de la même année, malgré le changement de majorité. Cette mission la conduit également à créer le club France-Afghanistan. Son but est d'établir un lieu de rencontre et permettre à tous ceux qui aiment ce pays, participent ou ont participé à des projets en lien avec lui, d'échanger ouvertement sur les difficultés et les avancées de leurs actions. Françoise Hostalier souhaite maintenant faire de ce club un catalyseur de projets et une source d'informations pour les différents acteurs français et afghans. L'idée est donc d'organiser des tables rondes sur les potentialités économiques de l'Afghanistan pour tous ceux qui souhaitent en exploiter les opportunités, comme le commerce courant. Elle n'oublie pas de rappeler que dans les commerces de proximité, à Kaboul comme à Paris, : « il y a mon shampoing, mon dentifrice et tous les produits de base dans la vitrine». De même, si la filière agricole produit désormais fruits et légumes de qualité, il faut à présent lui transmettre les procédures de conditionnement et de contrôle sanitaire nécessaires à l'exportation. « Il y a une usine Coca-Cola à Kaboul, alors si Coca-Cola ose. C'est possible ! ».
Façade d'un magasin de quartier à Kaboul
© Françoise Hostalier
À contre-courant, peut-être, du discours médiatique, Françoise Hostalier croit fermement aux potentiels de l'Afghanistan et de son économie. « Je suis une optimiste et, en Afghanistan, il y a une grande marge de progrès. Donc cela va forcément aller mieux ». De ses vingt-deux missions sur place, elle tire un regard optimiste et positif. Elle constate en effet que le pays revient de loin après les décennies de conflits qu'il a traversées. L'évolution la plus marquante, depuis son premier séjour en mars 2002, est la reconstruction des infrastructures. Aujourd'hui de grands axes relient les principales villes. Même si beaucoup reste à faire, Kaboul comme Hérat ou Mazar-e-Sharif ont subi des modifications impressionnantes. « Beaucoup de choses ont déjà été faites. L'Afghanistan était comme un puzzle cassé, beaucoup de pièces ont déjà pu être réparées. C'est déjà beaucoup. Maintenant, il faut réussir à les assembler. Les pièces recollées sont un peu déformées mais il y a moyen de reconstituer un paysage, un pays ». Elle explique la déception occidentale ou le discours pessimiste qui se fait largement entendre par des exigences trop élevées pour un pays meurtri par des décennies de guerre. « Mais nous ne sommes exigeant qu'avec ceux que l'on aime ». L'Afghanistan est un pays qui bouge et où tout est en train de changer, avec ses 18 à 20 millions de téléphones mobiles (pour une population de 31 million d'habitants), avec sa cinquantaine de stations de radio et de télévisions animées en grande majorité par des journalistes de moins de trente ans.
Toutefois, l'optimisme de Françoise Hostalier est mis à mal par la situation des Afghanes. Le tournant se situe pour elle en 2005-2006. L'impression, avant ces dates, est que « les Afghanes souhaitent s'émanciper et que les hommes sont prêts à leur entre-ouvrir la porte ». A-t-on voulu aller trop vite ou, en période de difficultés, les femmes n'ont-elles pas été les premières victimes d'une société qui fait le dos rond ? 2006 est, pour les États-Unis, le moment d'un engagement total en Irak. La politique afghane semble s'enliser et les vieux démons resurgissent, notamment la dégradation de la sécurité dans le pays sans que les forces occidentales n'aient les moyens de répondre efficacement. 2006 voit donc la société afghane se crisper, les femmes s'auto-censurent et reprennent leurs rôles traditionnels. Voilà ce qui peine Françoise Hostalier. Même si les femmes ont le droit de vote et que, constitutionnellement au moins, elles ont les mêmes droits que les hommes, leur quotidien n'est pas toujours à la hauteur de ces principes. Les avancées faites jusque là semblent aujourd'hui bien mises en péril et le combat est donc loin d'être terminé pour émanciper les femmes et garder les filles à l'école.
Rien n'est perdu et l'Afghanistan réserve toujours des surprises, même à ses « habitués ». Françoise Hostalier rappelle à ce titre le rôle fondamental de la jeunesse afghane. 45 % de la population à moins de quinze ans et environ 400 000 jeunes rejoignent le marché du travail chaque année. L'enjeu principal pour le pays est donc de trouver à ces jeunes des débouchés et s'assurer, par là, de rompre le cycle de la violence. Comme nombre de choses en Afghanistan, cette jeunesse est « à double tranchant » : source de tous les espoirs et de toutes les craintes. De même, 2014 et les élections présidentielles seront décisives pour le pays. « Le 5 avril sera quitte ou double, et ça sera double. Il va forcément se passer quelque chose, je ne sais pas quoi mais il va se passer quelque chose. C'est passionnant ! ».
Ce qui suscite aussi l'espoir, c'est la classe moyenne qui s'est développée aujourd'hui. La jeunesse qui en est issue a envie de se mobiliser et de faire évoluer les choses. Elle se retrouve dans les universités ou les écoles de commerce, où les filles choisissent, avec l'accord de leur famille, les études au mariage. L'émergence d'une classe moyenne urbaine est une nouveauté dans l'histoire du pays, jusque là divisé entre très pauvres et élites concentrant richesses et privilèges.
Malek du village de Quetchi
© Françoise Hostalier
Malgré les défis auxquels fait face l'Afghanistan, Françoise Hostalier croit fermement en son avenir. Elle raconte notamment sa visite, en mars 2013, dans le centre rudimentaire de soin du village de Quetchi où elle trouve, accrochée à un mur, une affiche représentant un préservatif, une plaquette de pilule contraceptive et une seringue avec une ampoule accompagné des explications sur leur usage. Étonnée, elle demande alors au Malek du village ce qu'il en pense. Tout sourire, il lui répond qu'il y est complètement favorable car cela permet aux femmes d'avoir moins d'enfants, mais avec de plus grandes chances de survie et d'être plus disponibles. Il lui affirme que l'Imam du village est du même avis. « Si cela existe dans un petit village où il y a eu une présence médicale avec des gens qui ont su expliquer, qui ont su convaincre, il y a des choses qui sont possibles ». Finalement, pourquoi ne pas extrapoler cet exemple au reste du pays ?



NB: Les propos de cet article ont été recueillis avant l'attentat mené contre la Taverne du Liban à Kaboul. Contactée, Françoise Hostalier réaffirme son optimisme. Elle précise que la police afghane a besoin de renforcer son entraînement et les dispositifs en place de lutte contre le terrorisme et que, le 17 janvier, les forces spéciales de la police sont intervenues rapidement et ont abattu les attaquants.